Le 11 mars 2018
Il serait dommage que ce petit film sombre et dense passe inaperçu ; son austérité n’est pas sécheresse.
- Réalisateur : Elene Naveriani
- Acteurs : Khatia Nozadze, Daniel Antony Onwuka
- Genre : Drame, Romance, Noir et blanc
- Nationalité : Suisse
- Distributeur : Vendredi Distribution
- Durée : 1h01mn
- Titre original : Me Mzis Skivi Var Dedamicaze
- Date de sortie : 14 mars 2018
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Résumé : April se prostitue à Tbilissi. Une nuit elle aborde un nouveau client, Dije, jeune réfugié Nigérian arrivé en Georgie par erreur. Petit à petit se tisse entre eux une mystérieuse relation. En noir et blanc s’esquisse avec douceur le portrait de deux âmes errantes et celui d’une ville d’aujourd’hui.
Notre avis : Une femme prend un poisson dans un aquarium, l’appelle « mon beau petit poisson » et l’éviscère ; en même temps, un homme bouscule Dije sans s’excuser ; des enfants jouent à se tuer (« ils ont grandi ici, à quoi veux-tu qu’ils jouent ? », dit une prostituée) ; la radio annonce qu’une 25ème femme a été tuée. C’est ce monde, violent, cruel, que Elene Naveriani décrit avec sobriété et empathie, le monde des laissés-pour-compte. Qu’ils soient immigrés (comme Dije) ou prostituées (comme April), leur destin ressemble à une longue attente morne, du travail, d’un logement ou d’un client. En cela ils sont frère et sœur, victimes de la déshumanisation et de l’anonymat des grandes villes ; ça se passe à Tbilissi, ça pourrait se passer n’importe où. De sa caméra pudique (car si les mots sont crus, l’image montre peu), la cinéaste scrute dans son premier long-métrage un peuple des bas-fonds dont l’ennui se manifeste entre autres par de longs silences. Et si Dije rencontre April, ce n’est pas pour une romance tendre ou une passion torride ; certes, la tendresse affleure, mais elle s’exprime peu, que ce soit par la parole ou par les corps : témoin ce long plan fixe où ils se regardent sans rien dire, elle debout, lui assis.
- Copyright Vendredi Distribution
Sous une forme austère (noir et blanc, quasi absence de musique extra-diégétique), ce film sensible dont le titre est une citation de Frantz Fanon manifeste une retenue qui tient de la litote : ne presque rien dire pour suggérer davantage. Il n’y a pas ici de grands discours, ni de message social, encore moins de solution proposée et l’amertume s’y étale sans complaisance, sur le mode documentaire ; les comédiens sont d’ailleurs des amateurs. On pense fugitivement à Une journée particulière de Scola, dans la rencontre improbable de deux exclus. Les quelques images finales, d’une vie quotidienne apaisée, laissent même présager un avenir moins sombre, mais le tout dernier plan contredit cet espoir et ramène à la dure réalité. D’espoir, il est certes question dans le film, mais c’est un rêve (partir aux USA) ou l’imagination (Dije voit la ville de haut en énumérant des édifices américains) qui le portent. Pour ces « damnés de la terre », comme le disait Fanon, ni passé ni futur, seulement un présent lugubre dans des lieux sinistres, un présent dans lequel la solidarité n’est qu’un vain mot et l’existence une attente qui n’a rien de métaphysique.
- Copyright Vendredi Distribution
Il faut espérer qu’un tel métrage, dont la maîtrise et la retenue éclatent dans de nombreuses séquences qui fuient les clichés, trouvera son public. À rebours des formes dominantes, il joue en mineur une musique entêtante et tenace, têtue comme ces Noirs qui continuent à jouer au foot malgré l’orage.
- Copyright Vendredi Distribution
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