Dieu seul le sait - John Huston - critique

Critique : Mettre face à face, dans des conditions dépassant l’entendement, un homme et une femme que tout sépare et voir ce que ça donne, Huston adore ça. Après Hepburn et Bogart dans The African Queen (1951), il se livre à nouveau à son sport favori en collant une bonne sœur et un marine sur une île, en pleine guerre du Pacifique. Pour faire bonne mesure, le soldat est un vrai guerrier gonflé à la testostérone et la religieuse, jolie comme un cœur, n’a d’amour que pour un seul homme, Jésus. Mieux, ils sont incarnés par des prototypes. Robert Mitchum est abonné aux rôles de types mal embouchés. Quant à Deborah Kerr, déjà vêtue de l’habit religieux par Michael Powell dans Le narcisse noir (1947), nonobstant ses torrides ébats avec Burt Lancaster sur la plage de Tant qu’il y aura des hommes (Fred Zinnemann, 1953), elle possède le physique virginal qui la cantonne à une sorte d’idéal de pureté placide.
Ceci posé, on pourrait évidemment craindre le pire de l’affrontement. Mais Huston est bien trop malin pour tomber dans les chausse-trappes d’une histoire convenue. Tout d’abord, sa guerre n’est pas une guerre de pacotille. Le scénario retranscrit exactement ce qui s’est passé, des batailles effrayantes entre Américains et Japonais, des pilonnages à n’en plus finir pour la maîtrise d’un îlot à l’intérêt stratégique mystérieux, qu’on abandonnera à l’ennemi quelques jours plus tard. Pendant que nos deux héros s’organisent une vie de Robinson pleine de quiproquos charmants, ce sont les Japonais, hélas, qui débarquent, les forçant à se cacher dans une grotte. Dans ces ténèbres hostiles vont se révéler leurs vraies natures. Et se nouera un véritable lien d’admiration réciproque. Mais bien sûr, Mitchum ne pourra s’empêcher de jouer au preux chevalier (bon d’accord, ils n’ont plus rien à manger) en s’introduisant dans le campement ennemi pour y subtiliser un peu de nourriture. Cette idée suicidaire nous vaut une scène de suspense très hitchcockienne où, réfugié en haut d’une étagère pendant que deux soldats se livrent à une interminable partie de go en s’abreuvant de saké, il devra garder son sang-froid malgré un rat qui lui tourne autour de manière menaçante...
Là où Huston fait très fort, c’est qu’il ne caricature pas ses Japonais. Ce ne sont pas des monstres assoiffés de sang, simplement de braves types qui ne font que leur boulot, la guerre. Rien que pour ça, son film, même s’il est mineur dans sa filmographie, mérite de ne pas être oublié. Mais c’est surtout dans la peinture de deux caractères antinomiques qu’il tire sa force. Les progrès que font l’un et l’autre pour se comprendre, les sentiments qui se modifient, l’émotion qui surgit inopinément. Chacun progressivement se débarrasse de sa cuirasse. Tout cela est très finement amené par le scénario et très finement joué par deux excellents comédiens. Au final, l’aventure commune modifiera définitivement la perception qu’ont l’un et l’autre du sexe opposé. On s’en réjouit pour eux...