Mélodrame existentialiste ou film de guerre catholique ?
Le 29 juillet 2019
une œuvre étrange, proche du "film à thèse", dans laquelle Klaus Kinski offre encore une fois une performance possédée.
- Réalisateur : Tonino Ricci
- Acteurs : George Hilton, Klaus Kinski, Ray Saunders
- Genre : Film de guerre
- Nationalité : Italien
- Editeur vidéo : Artus films
- Durée : 1h38mn
- Titre original : Il dito nella piaga
- Date de sortie : 11 mars 1970
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– Date de sortie DVD : 2 juin 2015
Résumé : Italie. 1941. Condamnés à mort par la cour martiale, deux soldats américains, un Blanc et un Noir, sont miraculeusement sauvés grâce à l’irruption d’un commando de parachutistes allemands. Ayant également échappé au massacre, l’officier chargé de leur exécution doit s’unir à eux pour tenter de survivre. Les trois hommes trouvent refuge dans un village pittoresque. Ils vont alors organiser la défense des villageois face aux nazis.
Notre avis : Ce qui est jouissif dans les films de guerre, c’est quand ceux-ci s’éloignent des clichés du genre pour l’amener vers totalement autre chose. Avec Deux salopards en enfer, titre de la nouvelle collection Guerre d’Artus Films, l’éditeur a encore fait une pioche remarquable avec un long métrage au ton sombre, solennel, profondément emphatique, et terriblement italien j’ai envie de dire. L’introduction du film est assez révélatrice avec sa partition mélodramatique et menaçante comme Riz Ortolani (Mondo cane, Adieu Afrique, Cannibal Holocaust) en avait le secret, ses plans de nature cosmiques et son texte biblique récité tiré de la Genèse. D’emblée la question du bien et du mal est posée et suivie par une fusillade et un contexte guerrier. Deux soldats américains, Brian Haskins (Klaus Kinski) et Calvin Mallory (Ray Saunders) sont arrêtés et condamnés à être exécutés pour viol et meurtre. Deux ordures. Deux salopards. Mais suite à une attaque des troupes allemandes, ils échappent à l’exécution et se retrouvent en compagnie de l’officier débutant Michael Sheppard (George Hilton) qui devait superviser leur propre mort. La tension est palpable entre les trois hommes, dont la haine des uns pour les autres ne cesse de resurgir en actes de violence. Investis, les acteurs donnent corps à leurs personnages et offrent de belles performances, en particulier Kinski, charismatique et au physique totalement hypnotique. Son discours nihiliste et désabusé fait alors écho aux sentiments anti-guerre si présents à la fin des années 1960.
Le film prend ensuite une autre tournure quand les trois hommes arrivent dans un village italien nommé San Michele où ils sont considérés comme les sauveurs alliés qui vont sortir les habitants de la guerre, en véritables héros. Au contact de ces villageois, les trois hommes vont découvrir l’amour, l’amitié, la compassion ou le pardon. Plus encore, le symbolisme religieux présent dès les premiers plans du film nous amène à considérer le parcours de chacun des trois protagonistes sous cet éclairage. Épiphanies, sacrifice de soi, moments de grâce, rédemption, allusions aux anges et à l’au-delà : ces deux âmes perdues que sont Calvin et Brian (lui, l’athée, qui déclare que "si Dieu existe, c’est un monstre") vont se remettre à croire en l’humanité et dévoiler le bien qui réside encore en eux. La bravoure, l’honneur, l’échange avec l’autre, jusqu’à en payer le prix fort et devenir des figures de martyrs.
Deux salopards en enfer baigne ainsi dans le fatalisme et dans un climat anti-manichéen et ne se contente pas d’aligner des scènes d’action (bien que la dernière bataille soit particulièrement bien rendue). Le cinéaste s’attarde sur la psychologie complexe des personnages, avec cette foi dans un changement possible, dans un espoir pour quitter le statut d’ "assassin" qui sommeillerait en chacun d’entre nous selon le discours final. Brian découvre l’amour avec Danièle et Calvin noue un lien fort avec un des enfants du village au-delà de la barrière de la couleur de peau. Cette dimension existentielle, philosophique du film donne une valeur symbolique au conflit armé. Il pourrait s’agir de la Guerre de Sécession dans un western ou d’une réflexion sur le conflit vietnamien, pourquoi pas ? Il en ressort surtout un constat sur la monstruosité de la guerre, son aberration cruelle qui va à l’encontre du principe humain, mai aussi l’idée d’une possibilité d’échapper aux traumas psychologiques et à la violence par la simple volonté et acceptation de l’autre, même si celle-ci n’est que de courte durée. Car même si la haine se dissipe, la mort attend toujours au bout du chemin (le plan final associé à une citation du président assassiné John Fitzgerald Kennedy).
Fataliste et mélodramatique jusqu’à l’hystérie (la mort de Haskins), le film acquiert ainsi une dimension initiatrice pour l’officier joué par George Hilton. Comme dans un récit d’éducation, il aura tiré des leçons de cette expérience et, au final, chacun des hommes touchera à la grâce quitte à en passer par la folie. Tout cela fait de Deux salopards en enfer un film de genre à découvrir, ne serait-ce que par cette association entre la guerre et une philosophie pétrie de religiosité. Les lieux de tournage et le décor du village contribuent grandement à l’ambiance, magnifiée de bout en bout par le génie sombre d’Ortolani. Malgré quelques petites baisses de rythme, le métrage est aussi porté par ses trois acteurs principaux et, pour une fois, Klaus Kinski ne joue pas un SS mais un soldat américain !
Les suppléments
En supplément, nous trouvons six bandes-annonces faisant la part belle aux films de guerre, westerns italiens et nazisploitation, un diaporama, et un entretien de vingt-six minutes avec Curd Ridel qui connaît décidément tout sur les acteurs et les metteurs en scène du cinéma italien. Il les passe chacun en revue et apporte des données biographiques fort précieuses pour qui veut creuser plus avant le cinéma de genre italien de ces années-là.
Image & Son
Comme d’habitude avec Artus, le film est disponible en version française et en version originale italienne sous-titrée. Il est présenté en format Scope 2.35 d’origine avec une qualité remarquable pour une œuvre de plus de quarante-cinq ans d’âge. Quant au son, les dialogues restent toujours compréhensibles même s’il peut y avoir des saturations et la musique de Riz Ortolani est offerte dans toute sa splendeur menaçante, passant du dissonant au martial, du mélodramatique au funèbre, du tonitruant au larmoyant, avec un style qu’on reconnaît dès les premières notes.
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