Le 22 avril 2023
Grande aventure et naissance de la démocratie sont au programme de Destination outreterre, qui séduit autant qu’il questionne.
- Auteur : Robert Heinlein
- Collection : Le rayon imaginaire
- Editeur : Hachette Heroes
- Genre : Science-fiction
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Patrick Imbert
- Titre original : Tunnel in the sky
- Date de sortie : 6 avril 2022
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
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Résumé : Rod rêve d’un métier porté vers les outreterres, ces mondes extraordinaires accessibles aux humains via d’immenses portails, alors que la Terre est à peine vivable. Pour cela, il lui faut valider un examen pratique, qui consiste à survivre dans un de ces mondes pendant quelques jours. Propulsé vers une planète inconnue, il est surpris de n’être pas rappelé sur Terre… Combien de temps restera-t-il, lui et les autres élèves, piégé aux confins de l’univers ? C’est alors une nouvelle vie qui commence, où il faudra recréer un semblant de civilisation avec ses pairs, et survivre ensemble face aux menaces d’un monde inconnu…
Critique : Jusqu’alors inédit en traduction française, voilà que Destination outreterres nous parvient, comme passé par un portail le propulsant à travers les époques. Son auteur ne nous est pourtant pas étranger, du moins pas aux amateurs de science-fiction, puisque Robert Heinlein, au même titre Arthur C. Clarke et Isaac Asimov, fait partie de ceux qu’on considère les « Trois Grands » de la science-fiction américaine. Heinlein, le talent aussi net que sa réputation est sulfureuse, est ainsi le père de Etoiles, garde à vous ! (1959), connu sous le nom de Starship Troopers. Il est au demeurant d’une logique implacable qu’il ait été adapté au cinéma par Paul Verhoeven, le cinéaste néerlandais aimant à triturer les frontières du moralement acceptable.
L’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui paraît un peu plus tôt, en 1955, sous le titre plus prosaïque que sa traduction française, Tunnel in the sky. Heinlein y mêle deux grands thèmes avec finesse, que sont l’aventure, la confrontation à l’inconnu, et la construction de la démocratie sous un angle pratique et théorique. Pour développer ces thèmes centraux, il choisit de plonger, dès les années 50, son protagoniste principal dans un futur peu enviable. Si peu enviable que la solution qui s’offre à l’humanité pour survivre est une forme de fuite, qui consiste à exploiter les ressources d’autres planètes, après que celles de la Terre furent asséchées.
Heinlein construit méthodiquement ce futur, plutôt avec force dialogues et plongée dans la vie courante qu’avec de grandes descriptions. Quoi de plus normal que d’aller au lycée pour le jeune Rod ? Lui qui incarnera tantôt la fragilité face à l’inconnu, puis l’autorité en société, est le symbole d’un parti pris discutable de la part de l’auteur. En effet, les personnages, au cours de l’aventure, seront nombreux et caractérisés avec légèreté. Au point qu’on n’en connaît que des bribes, même lorsqu’ils sont récurrents. Heinlein peut ainsi en tirer la force de l’archétype, mais perd la puissance de l’attachement émotionnel.
Il priorise, dans la première partie, l’immense curiosité que suscite l’inédit. En confrontant Rod à l’hostilité d’une nouvelle planète, il parvient à éveiller chez le lecteur la grande satisfaction de la découverte. L’appétit de l’explorateur, la naïveté du défricheur. Quel plaisir ne prend-il pas à inventer ce monde hostile, sa faune, sa flore, et ses propres règles !
Dans cette première partie, également, il manie à la perfection l’ambivalence qui tient à la nature de la mission de Rod : elle est dangereuse au point qu’il lui faut une arme de guerre, mais demeure supervisée par ses professeurs, donnant l’impression de pouvoir toujours être observé, surveillé, et même secouru. Du propre aveu des adultes, il n’existe aucun intérêt à ce que les étudiants perdent la vie ! Pourtant, la bascule vers le danger est maîtrisée de main de maître. Peu à peu, l’étrange s’invite dans l’épreuve, et l’on ne sait plus si l’affaire est tout à fait sous contrôle. Jusqu’à ce que Rod découvre qu’il est piégé, si loin de la Terre.
C’est alors que Heinlein met en place l’idée qui l’anime depuis le début de l’intrigue. Son ambition est de faire table rase de la société dans laquelle nous vivons, et d’examiner ce qui adviendrait si des adolescents venaient à produire, ou reproduire, un moyen de vie commune. Très juste dans sa théorie, tout du moins crédible, mais sans verser dans l’essai politique, Heinlein reste toujours à hauteur d’homme. C’est ce qui lui permet d’affirmer, dans sa fin que nous ne dévoilerons pas, une forme de pessimisme à l’égard d’une nouvelle société. L’humain peut s’adapter rapidement, mais peine à résister quand l’occasion se présente de retrouver son précédent équilibre. La concomitance de sa sortie avec celle de Sa majesté des mouches (1954) de William Goldstein est des plus frappantes. Dans ce dernier, un groupe d’adolescents se retrouve perdu sur une île déserte, et s’attelle à recréer une société. Le premier a-t-il inspiré le second ? Les années suivant la Seconde Guerre mondiale auraient-elles poussé leurs auteurs à ces réflexions ? La lecture des deux œuvres s’impose, en tout cas.
Finalement, malgré des personnages archétypaux et, disons-le, quelques revirements de caractères parfois surprenants, Heinlein produit une réflexion aussi précise qu’abordable sur la naissance d’une société. Léger, fluide, procédant d’une langue efficace mais sans fulgurance, Destination outreterres est parfait pour le néo lecteur en quête d’éveil, mais aussi pour l’habitué qui souhaite un roman léger et ambitieux.
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