Le 19 août 2020
Mêlant présent et passé dans un roman diablement actuel, Barbara Kingsolver se confronte aux classes moyennes, sous Trump et sous Grant, et à la nécessité d’accepter le changement – qu’il soit écologique, scientifique ou familial.
- Auteur : Barbara Kingsolver
- Editeur : Rivages
- Genre : Roman & fiction, Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Martine Aubert
- Date de sortie : 19 août 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Résumé : Dans ce roman, le passé succède au présent qui lui succède à son tour : les différences entre le XIXème et le XXI siècle en Amérique ne sont pas si notoires... Les femmes doivent se battre pour vivre, l’Homme doit se battre pour survivre et les modernistes doivent se battre face aux conformistes conservateurs pour faire avancer l’humanité. Barbara Kingsolver oppose ici le populisme à la lucidité, la science à la piété aveugle, la famille au reste du monde – quand ce ne sont pas les membres d’une même maisonnée qui se contredisent...
Critique : Deux familles à cent-cinquante ans d’intervalle, sur un même terrain, abritées par une bâtisse qui ne tient plus debout, prend l’eau et s’effondre. Un seul et même combat pour ces deux foyers : parvenir à consolider les murs qui les hébergent, à solidifier ce qui lie les membres d’une maisonnée – à savoir, précisément la maison où ils cohabitent. En 1870, Thatcher Greenwood, professeur de biologie, vit avec sa femme, sa belle-sœur et sa belle-mère et tente d’inculquer à ses élèves les rudiments de la science (voire de la théorie de l’évolution de Darwin), alors même que le directeur de l’établissement où il enseigne, la plupart des habitants de Vineland et même le fondateur idolâtré de cette communauté planifiée du New Jersey, refusent de céder du terrain à la science. En effet, la Bible satisfait alors tout le monde (ou presque) d’explications justes et sacrées. En 2016, alors que la campagne présidentielle fait rage, Willa et Iano partagent leur nouvelle maison avec le père de Iano, Nick, et leur fille, Tig. Si le vieil homme est résolument en faveur de Donald Trump et xénophobe (pourtant lui-même Américain issu de l’immigration), sa petite-fille défend un socialisme nouveau et détonnant aux États-Unis, écologique et lucide quant à l’avenir de la planète. C’est pourtant elle qui arrive le mieux à composer avec son grand-père, ignorant ses élucubrations racistes et ses insultes grecques. Elle est même non loin de comprendre sa position d’aîné attaché au monde qu’il a connu, incapable d’imaginer son basculement dans une autre ère. Celui qu’elle échoue à cerner, c’est son frère, économiste fraîchement émoulu d’Harvard, criblé de dettes et tout juste papa, promis à un avenir de magnat de la finance comme elle les exècre.
À deux époques différentes, les protagonistes de Barbara Kingsolver mènent donc les mêmes combats. Ils défendent une nouvelle vision du monde, moderne et nécessaire, s’opposent à un point de vue étriqué, défendu par des hommes et des femmes incapables de considérer le moindre changement comme inéluctable. Pour lier encore davantage le XIXème et le XXIème siècle, les derniers mots d’un chapitre sont ceux qui composent le titre du chapitre suivant, la narration alternant entre passé et présent. Par ailleurs, des liens sont également établis, puisque Willa s’intéresse à l’histoire de Vineland et plus particulièrement à celle de son terrain et de sa maison. L’ombre de Thatcher Greenwood et de la botaniste Mary Treat, qui gagnerait à être plus connue selon les propres termes de l’auteure, planent donc au-dessus des personnages confrontés à l’ère Trump, à l’absence de sécurité sociale, aux frais exorbitants exigés par les hôpitaux et les universités, à l’instabilité professionnelle.
Barbara Kingsolver crée ainsi des parallèles entre l’écologie d’alors et d’aujourd’hui, le populisme qui régnait en maître et reprend de plus belle… L’auteure est d’ailleurs l’une des premières femmes de lettres américaine à avoir fait sienne la cause écologique, à l’image de Jonathan Franzen. Elle mêle à ce sujet très actuel un autre thème, inhérent à la littérature du nouveau continent : la famille. On pensera à Anne Tyler et à Andrew Ridker, à leur manière de décrire les relations si complexes entre les membres d’un même foyer. Quelques scènes savoureuses et autres répliques acerbes compensent certains passages trop longs et techniques, laborieux, et plusieurs pages bavardes de dialogues lents. La traduction dessert également le roman. Presque absente, Martine Aubert manque à son devoir lorsqu’elle laisse passer de nombreuses références, perdues pour un lecteur non initié à la riche histoire américaine – le procès de Scopes et de son darwinisme ainsi jugé ou l’une des premières manifestations du combat entre sciences et religion, les « vingt acres et une mule » confiés à un esclave en même temps que sa liberté, ou autant d’éléments civilisationnels obscurs pour qui n’a pas étudié les heures sombres des États-Unis.
Ce qui est certain, c’est que cette satire de notre époque permet de lier passé, présent et futur autour de luttes à la fois semblables et différentes, l’humanité n’étant qu’une. Barbara Kingsolver conclut d’ailleurs : « J’ai voulu dans ce roman adresser une lettre d’amour à ceux qu’on appelle les Millenials, établir une conversation intergénérationnelle. Car les problèmes de demain ne seront pas résolus par les gens d’hier. »
Barbara Kingsolver - Des vies à découvert
Rivages
570 pages - 24,50 €
14.0 x 20.5
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balcon 28 septembre 2020
Des vies à découvert - Barbara Kingsolver - critique
Plaisir de découvrir un nouvel auteur américain et un beau pavé. C’est un grand roman social et politique qui décrit deux familles américaines , l’une au dix neuvième siècle et l’autre à la veille de l’élection de Donald Trump avec comme point commun une maison victorienne délabrée du New Jersey qui se fissure, un peu comme l’Amerique ?
Ainsi, le couple Knox, issue de la classe moyenne, emménage en 2016, menée par la mère Willa, qui subit la crise économique et doit prendre en charge son beau-père, ses enfants paumés et un nouveau-né , tout cela avec des plafonds qui s’effondrent de jour en jour. C’est une véritable mère -courage.
En parallèle, on suit le parcours du professeur progressiste Greenwood et sa famille, installés en 1871, qui va se heurter aux dirigeants conservateurs de l’université et à sa propre femme ,face aux nouvelles théories de Darwin.Il sera soutenu par sa voisine, Marie Treat, brillante biologiste de l’époque .
En décrivant ces deux foyers, l’auteur développe une approche puissante de l’aspect social des États-Unis, affaiblis par une crise économique qui touche de plein fouet la classe moyenne, sans aucune sécurité sociale, fragilisée par des emplois instables et le coût des études supérieures. C’est un tableau sans concessions et pessimiste. Cette analyse m’a paru très instructive et riche de vérité.
Toutefois, une nouvelle génération, représentée par la fille Tig redonne espoir avec des projets de vie tournés vers le socialisme et l’écologie.
Le récit du dix neuvième siècle est riche en événements historiques qui sont astucieusement mêlés à des personnages fictifs. Le personnage rayonnant reste Marie Treat, cette scientifique amie de Darwin, injustement méconnue malgré de nombreuses publications reconnues. Elle représente la liberté de penser, l’indépendance familiale et professionnelle. L’auteur met en valeur trois femmes fortes : Marie, Tig et Willa portant des valeurs féministes à leur manière.
Ce livre met bien en valeur l’obscurantisme de nombreux politiques et scientifiques comme en 2020 face au dérèglement climatique.
Je voudrais insister sur la construction habile du récit qui alterne entre les deux époques : à la fin de chaque chapitre les derniers mots sont repris au début du suivant , ce qui permet de lier l’ensemble.
C’est un texte foisonnant de références historiques (un peu obscures pour moi quelquefois), de joutes verbales savoureuses, de descriptions botaniques gracieuses mais aussi de passages un peu lents et longs dans certaines conversations.
C’est une lecture intéressante, grinçante et utile sur l’Amérique qui fait de moins en moins rêver !