Le 23 mars 2022
Un roman où la fulgurance de la langue équilibre la radicalité de l’écriture. L’auteur raconte une humanité totalement soumise à la peur, à l’absurdité de son existence, sans aucune issue possible. Pourtant, les personnages vivent encore. Un grand livre universel.
- Auteur : Joël Casséus
- Editeur : Le Tripode
- Genre : Roman
- Nationalité : Québécoise
- Date de sortie : 3 février 2022
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
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Résumé : Un monde sous un demi-ciel où il ne s’agit que de creuser des fosses, derrière un mur. Dans cet endroit où plus aucun espoir n’est permis, une petite communauté raconte son quotidien monotone jusqu’au jour où un enfant naît et où la peur ne quitte plus les esprits.
Critique : Dante écrivait dans sa Divine Comédie qu’on pouvait lire à la porte des Enfers : « toi qui entres ici, abandonne tout espoir ! ». Cet avertissement pourrait, en quelque sorte, s’adresser au lecteur qui ouvre les premières pages de ce roman abrupt, où l’on ressent la poussière, la boue et l’effort continu des personnages. Le récit passe de parole en parole, de pensée en pensée, sans que jamais rien ne soit analysé. La réalité brute nous est livrée, pour mieux nous ramener à ce qui est essentiel pour l’humanité : la reconnaissance de son existence.
En proie à un danger réel ou imaginaire, une petite tribu d’hommes et de femmes creuse des fosses ou assure les tâches domestiques, recluse derrière un mur. Les corps sont marqués, fatigués, éprouvés. L’un d’eux, celui de l’homme sans mains, est même laissé de côté, inutile ; les autres sont sourds à sa détresse ou à sa famine. Et puis, parmi eux, un enfant, qui tente de comprendre sa condition, les terreurs des adultes et surtout d’appréhender ce labeur quotidien qui consiste à creuser des fosses.
La langue est âpre, sans excès, d’une vérité terriblement crue, car il n’y a rien d’autre à ajouter.
Si le texte n’est pas difficile à découvrir en raison d’une écriture simple et très figurative, pourquoi s’imposer la lecture d’un tel monde, où l’on devine l’oppression sans jamais la nommer, où la condition de [ces] ses individus paraît tout autant absurde qu’inconfortable ? Tout simplement parce que, sous une apparente simplicité du langage, la poésie s’immisce par petites touches, révélatrice du talent de son auteur.
Cet extrait, par exemple : « Un gars travaille, meurt. Parfois il vit. Mais le mur il reste. T’as beau arracher la chair de la terre, la laisser couler dans ton poing rageur, le mur te dévisage toujours. Tu peux lui jeter l’écume rageuse de tous tes cauchemars, le mur reste, te dévisage. Je lui ai dit. Un homme est un homme, mais parfois il passe de l’autre côté et c’est souvent ça qui fait qu’il n’est plus un homme. Le mur l’appelle, ses yeux se brisent, se creusent par tous les morceaux de rêves et d’espoirs impossibles qu’il voit sur le mur. »
Joël Casséus, auteur québécois, tient un discours éminemment politique. Enseignant en sociologie, il s’intéresse à l’oppression capitaliste, aux voix que l’on n’écoute pas, aux invisibles. Ses précédents romans absentent également le lieu, la temporalité, les narrateurs sont multiples, ne sont pas nommés, afin de rendre son propos plus universel, rappelant sans cesse la fragilité et la vulnérabilité des êtres face aux atrocités du monde.
La portée de cette fable crépusculaire s’intensifie au fil du récit ; ainsi, la dernière partie, la plus courte, effarante par la vivacité de l’écriture et l’intensité des mots, se révèle l’apothéose de ce roman si singulier, qui résonne cruellement avec notre époque. Comme le dit l’auteur lui-même interrogé à propos de ce livre : « Une société qui vit avec bonne conscience sa propre barbarie est incapable de dialoguer ou de changer. Elle est condamnée à un hédonisme cynique jusqu’à sa propre disparition. Pourtant, notre moitié du ciel ne peut exister sans la brutalité infligée à l’autre moitié du ciel. Ils vivent, comme nous, animés d’espoir, sous le demi-ciel. Ecoutons. »
« L’ordre du monde, tu penses parfois que tu peux y faire quelque chose, que tu peux le comprendre, essayer de le changer un peu, le rendre moins implacable. Tu penses qu’il te sera possible de faire quelque chose, mais : non, nous sommes bien peu de chose. »
200 pages
16€
Illustration de Dillaut
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