Le 22 septembre 2024
Dahomey n’est pas le simple récit d’une restitution d’œuvres d’art au Bénin par la France. C’est d’abord l’expression d’un peuple qui peine encore à s’émanciper de la cicatrice encore vive de décennies sous le joug de la colonisation. Un film nécessaire et profond.
- Réalisateur : Mati Diop
- Acteurs : Gildas Adannou, Habib Ahandessi, Joséa Guedje
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français, Sénégalais, Béninois
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 1h11mn
- Date de sortie : 11 septembre 2024
- Festival : Festival de Berlin 2024
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Résumé : Novembre 2021. Vingt-six trésors royaux du Dahomey s’apprêtent à quitter Paris pour être rapatriés vers leur terre d’origine, devenue le Bénin. Avec plusieurs milliers d’autres, ces œuvres furent pillées lors de l’invasion des troupes coloniales françaises en 1892. Mais comment vivre le retour de ces ancêtres dans un pays qui a dû se construire et composer avec leur absence ? Tandis que l’âme des œuvres se libère, le débat fait rage parmi les étudiants de l’université d’Abomey Calavi.
Critique : À l’heure où l’actualité met à l’honneur le terme de "destitution", Dahomey raconte justement la restitution d’œuvres ancestrales, qui avaient été ravies par l’État français et dormaient depuis des années sous les lumières du musée Chirac. En réalité, le geste accompli par le gouvernement français est minime. La restitution ne concerne que vingt-six pièces de musée, là où l’on sait que la célèbre institution du Quai Branly regorge de pièces absolument merveilleuses qui ne sont pas les seuls cadeaux de chefs d’État au président Chirac.
Après l’éblouissant Atlantique, Mati Diop propose un documentaire à la matière véritablement politique. En effet, une fois passées les images sur la protection et l’envoi des pièces au Bénin, le film juxtapose des prises de paroles d’étudiants et d’universitaires béninois qui voient dans cette main tendue par le ministère de la Culture français, moins un espoir qu’une forme terrible d’amertume. Car ces jeunes gens ont encore du mal à se défaire d’un passé dont le récit a été essentiellement construit par l’imaginaire du colonisateur. Ils voudraient bien exister par eux-mêmes, se projeter dans un futur rassurant, à commencer en se libérant de la langue française qui écrase totalement les dialectes locaux. Les jeunes gens bataillent à coups d’invectives, de prises de position virulentes, comme un avertissement au mépris dont ils ont le sentiment qu’il perdure dans la politique française sur le continent africain.
- Copyright Les Films du Losange
Après le Grand Prix à Cannes, Mati Diop a reçu avec Dahomey l’Ours d’Or à Berlin. Cette récompense, amplement méritée, ne s’appuie par sur le formalisme cinématographique très développé. En effet, le document se veut assez dépouillé, à l’exception des très beaux textes récités par la figure divine qui constitue la vingt-sixième statut. Le prix récompense sans aucun doute une parole libre, universelle, qui nous rappelle à la responsabilité de nos ancêtres, et celle qui peut perdurer quand il s’agit de regarder la manière dont le racisme, l’antisémitisme, le populisme continuent parfois de hanter l’inconscient collectif français.
Mais Dahomey n’est surtout pas un film simpliste sur la question africaine. L’écriture est redoutablement efficace, jouant sur l’opportunité rêvée d’un retour au Bénin d’œuvres ancestrales, témoins d’une histoire étouffée d’un pays par l’imaginaire occidental. En vérité, la réalisatrice cherche à raviver la complexité des discours et des idéologies, qui, tant qu’ils ne seront pas regardés frontalement, continueront de déformer les pensées et les visions du monde qui entravent le vivre-ensemble. Il y a beaucoup d’intelligence et de nuance dans un documentaire qui pourrait céder très aisément aux sirènes du populisme. Mati Diop s’expose avec brio dans un discours dense où les postures de chacun méritent d’être éclaircies par l’Histoire avec un grand H.
- Copyright Les Films du Losange
Dahomey s’affiche comme un documentaire profond qui mériterait d’être distribué dans toutes les écoles de France. Il montre d’abord que les peuples africains ont d’abord vocation à s’émanciper, à se façonner un avenir, plutôt qu’à s’égarer sur les chemins dangereux de l’immigration. La réalisatrice conclut son travail avec des images de la ville de Porto-Novo, d’une étonnante modernité, qui signent un pays en pleine expansion, et assument la royauté de Dahomey qui a fait son passé.
Voilà donc une œuvre fascinante et audacieuse dont on aimerait qu’elle vienne nourrir les débats politiques du moment. Dahomey est un appel à la paix, à l’amour et au respect des peuples dans leur singularité.
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