Le 1er avril 2014
Grand prix de la compétition internationale du documentaire décerné à Marseille, en juillet 2013, Mille Soleils de Mati Diop est un superbe hommage au film culte sénégalais Touki Bouki, réalisé en 1972 par son oncle paternel, Djibril Diop Mambety.
- Réalisateur : Mati Diop
- Acteur : Magaye Niang
- Genre : Comédie dramatique, Documentaire
- Nationalité : Français, Sénégalais
- Durée : 45mn
- Date de sortie : 2 avril 2014
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Grand prix de la compétition internationale du documentaire décerné à Marseille, en juillet 2013, Mille Soleils de Mati Diop est un superbe hommage au film culte sénégalais Touki Bouki, réalisé en 1972 par son oncle paternel, Djibril Diop Mambety.
©Cinégrit - Touki Bouki
L’argument : En 1972, Djibril Diop Mambety tourne Touki Bouki. Mory et Anta s’aiment. Les deux jeunes amants partagent le même rêve, quitter Dakar pour Paris. Au moment fatidique, Anta embarque. Mory, lui, reste seul sur les quais, incapable de s’arracher à sa terre. Quarante ans plus tard, Mille Soleils enquête sur l’héritage personnel et universel que représente Touki Bouki. Que s’est-il passé depuis ? Magaye Niang, le héros du film, n’a jamais quitté Dakar. Et aujourd’hui, le vieux cowboy se demande où est passée Anta, son amour de jeunesse.
Notre avis : Un Sénégalais de belle allure, la soixantaine, traverse sans fléchir avec son troupeau de zébus une rue en plein centre ville de Dakar. En fond sonore, une chanson célèbre et lancinante interprétée par Tex Ritter : « Do not forsake me, oh my darlin’ » (« Si toi aussi tu m’abandonnes »). Cette belle séquence d’ouverture du film Mille Soleils de Mati Diop renvoie aux premières minutes du film sénégalais culte des années 1970, Touki Bouki (Le Voyage de la hyène, traduit du wolof), réalisé en 1972 par Djibril Diop Mambety, l’oncle paternel de la cinéaste.
©Independencia Distribution
Mati Diop, jeune femme de 32 ans, belle actrice dans 35 Rhums de Claire Denis, a déjà réalisé plusieurs courts métrages en France et au Sénégal, primés dans de nombreux festivals internationaux. La cinéaste a souhaité, en revenant sur les traces de Touki Bouki, « remonter le film des origines de son rapport au cinéma et de la place qu’il occupe dans sa famille ». Elle découvrit alors « l’incroyable destin des acteurs de Touki Bouki, exacte trajectoire de leurs personnages fictifs ». Ou comment, en mêlant ses pas à ceux de son oncle, la fiction devient réalité – et cette réalité, une fable moderne. Mille Soleils, se voulant en quelque sorte un film dans le film, retrouve l’acteur principal de Touki Bouki, Magaye Niang. Et par là même, en réalité ou en songe, les deux héros de Touki Bouki, Mory le berger et Anta l’étudiante, duo amoureux de choc, sorte de Bonnie and Clyde africains, prêts à tout pour quitter le Sénégal et gagner le Paris de leurs rêves. À la fin de Touki Bouki, Anta part sur un beau paquebot blanc, tandis qu’au dernier moment Mory renonce à délaisser la terre de ses ancêtres…
©Independencia Distribution
Quarante ans après, Mati Diop fait ainsi évoluer le Mory de Touki Bouki dans Mille Soleils. On ne sait pas d’emblée si ce film relève d’ailleurs du documentaire ou de la fiction. Peu importe ! Les deux démarches sont solidaires et de cette confusion naît un récit filmique éclatant, libre et débridé. Car, en fait, c’est bien l’entremêlement du réel et de la fiction qui est le vrai sujet du film. On confond ainsi avec bonheur acteur et personnage. En suivant Magaye Niang dans ses déambulations de cow-boy solitaire et crépusculaire, Mati Diop nous offre à travers Mille Soleils un voyage poétique baignant dans une magie multicolore. On passe du rouge sang des abattoirs au jaune de la lumière dakaroise et au bleu des écrans de cinéma et de la nuit – pour finir dans le blanc de blanc des neiges d’Alaska. Cette circulation de couleurs traverse des situations documentaires et fictionnelles des plus simples. Entre la déambulation de Magaye et de ses zébus jusqu’aux neiges d’Alaska, nous retrouvons ainsi notre héros dans une vigoureuse scène de ménage, où sa femme, le voyant sortir en haillons pour aller à la projection publique de Touki Bouki, lui demande s’il se « prend pour Johnny Hallyday ». Et lui de rétorquer qu’elle « commence à le faire… ». Forte séquence aussi, ensuite, quand Magaye marchande le prix d’une course de taxi pour rejoindre la projection du film : le chauffeur, interprété par Djily Bagdad, l’un des membres du mouvement Y’en a marre, l’interpelle sur la lâcheté de la génération de Magaye qui n’a rien fait pour son pays : « Qu’as-tu fait en 68 ? Nous, on ne quitte pas le navire… ». Autre beau moment où le passé rattrape le présent, lorsque Magaye se retrouve plutôt ivre et en retard à la projection de Touki Bouki et déclare à des gamins qu’il est bien celui qu’on voit à l’écran. Eux, ne distinguant aucune ressemblance entre cet homme aviné aux cheveux gris et mal vêtu et l’élégant jeune homme du film icône Touki Bouki, lui crient : « Réveillez-vous, ce n’est pas vous ! »
Ce moyen métrage de quarante-cinq minutes s’achève par une magnifique scène onirique liée à une conversation téléphonique imaginaire entre Anta, en Alaska, et Magaye, à Dakar. Ce dernier lui demande : « Pourquoi ne veux-tu pas rentrer au pays ? » Et notre cow-boy de se retrouver marchant dans les neiges, en quête de son premier amour qu’il voit, au gré d’une hallucination, nue dans une image bleue de toute beauté…
Mille Soleils est la réussite de la triple histoire de Mati Diop : celle de sa famille, celle du cinéma, celle du Sénégal. Entre naturalisme et fantastique, avec beaucoup d’humour et de mélancolie, la cinéaste a réalisé dans cet hommage-enquête sur Touki Bouki un film éblouissant, qui mêle passé, présent et futur, avec une belle force poétique. Un film qui brille de mille feux dans le jour et la nuit de Dakar.
©Independencia Distribution
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