Dépêché à bord de Court Serpent, un navire spécialement conçu pour affronter les glaces, l’abbé Montanus a pour mission de sauver du péché et du chaos un petit peuple originaire d’Europe qui vit dans l’isolement depuis des siècles et dont on signale qu’il s’adonne aux pires débauches. L’ecclésiastique drapé d’arrogance sera le grain de sable qui précipitera la débâcle.

La plus grande qualité de ce récit époustouflant de cruauté, d’invention et de drôlerie macabre, c’est sa langue : on se régale à chaque page de ce faux vieux français qui coule, bondit, chatoie pour dépeindre sans le moindre temps mort un périple infernal et son issue absurde, fatale, profondément ironique.

A condition d’avoir le cœur bien accroché, on suivra jusqu’à la nausée les aventures de l’abbé, du capitaine et de son équipage. On découvrira à travers son regard d’une condescendance très actuelle (rappelons qu’on est au XIVe siècle...) le peuple qu’on est venu "sauver" et qui - comble de l’horreur - s’acoquine avec les "sauvages" de ces contrées maudites, des êtres mi-hommes mi-bêtes qui n’hésitent pas à se nourrir de l’"odieuse chair du phoque"...

Montanus, bien entendu, agit sans états d’âme puisque chacune de ses paroles, de ses décisions, chacun de ses gestes est estampillé du label "au nom de Dieu". Il ne ménagera ni sa peine ni celle des autres qui seront allègrement pendus, lapidés, écorchés vifs et l’on en passe.

L’histoire officielle dira qu’il a fait son possible, mais que ce pauvre peuple était déjà perdu pour le bien. Heureusement, un narrateur impitoyable nous consolera un peu de tant d’hypocrisie en révélant sans détour le véritable dénouement - un désastre - de cette croisade aux confins du monde. Et l’on saura qu’au moins le bon abbé, dans le secret de sa conscience, n’a pas échappé à sa vérité d’homme de chair et de sang.