Courir avec des ciseaux

Le premier film du créateur de Nip/Tuck est incontestablement brillant, mais un brin vain et trop sophistiqué pour être totalement sincère.

L’argument : La jeunesse d’Augusten Burroughs, fils délaissé par une mère poétesse psychotique et un père alcoolique, "adopté" par un psy halluciné et une famille de fous, la découverte de son identité et sa lutte pour comprendre et se faire une place dans le monde qui l’entoure.

Notre avis : Créateur du génialement retors Nip/Tuck, Ryan Murphy était attendu au tournant de ce premier long métrage, adapté des mémoires d’Augusten Burroughs, dont il signe lui-même le scénario et la réalisation, ainsi que la production (épaulé par un certain Brad Pitt). Le résultat surprend, charme, mais laisse à son auteur une marge de progression certaine. On retrouve dans cette chronique blessée les thèmes favoris de Murphy : l’âme humaine et ses perversions, la solitude, l’incompréhension et l’incapacité à faire de soi-même le héros qu’on a toujours rêvé être. Pas de riches chirurgiens ici, mais une sacrée bande de ratés. On pense très rapidement aux frères Anderson, auteurs de la Famille Tenenbaum, et plus généralement à ce cinéma indépendant américain qui s’acharne avec talent à démonter les familles, des œdipes aux divorces, à grand renfort de trente-deuxième degré touchant et de personnages jamais autant humains qu’ils sont totalement fous. Le petit monde de Augusten Burroughs est en effet une belle collection de cas cliniques, à commencer par sa mère (extraordinaire Annette Bening) poétesse sans talent défoncée au Valium, génitrice indigne et totalement destructrice. Les autres n’ont rien à lui envier, de son propre psy (Brian Cox, toujours aussi dérangeant), pseudo-gourou douteux vivant dans sa crasse et lisant littéralement dans sa merde les présages divins à la femme de ce dernier (Jill Clayburgh, qui dégage une force incroyable dans son simple regard), grande amatrice de croquettes pour chien...
Pourtant, cette foule de cinglés, casting de luxe à l’appui (Gwyneth Paltrow, Jospeh Fiennes, Alec Baldwin...) finit par toucher. Ses doutes, ses violences, prises une à une, cachent autant de solitudes et d’intelligences derrières les masques tordus de la folie quotidienne. S’il s’en était tenu à eux, Ryan Murphy aurait signé là un drame émouvant et juste. Malheureusement, il emballe son histoire dans un tourbillon esthétique et musical légèrement frime, et multiplie, à tort, les pistes de lecture. Pire, son personnage principal, jeune homme discret et légèrement paumé, pour autant qu’il soit un bon gars sain d’esprit - une rareté - est bien le plus fade d’entre tous...
Malgré tous ces défauts, Courir avec des ciseaux confirme le talent de Murphy, qui aura eu le mérite de ne pas copier bêtement sa série sur grand écran. Reste qu’il lui faudra pour son second long, déjà annoncé, se défaire de certains effets et de certaines longueurs, qui, si elles passent bien entre deux épisodes, plombent le récit d’un film.