Âge difficile obscur - la critique

L’adolescence, ses peines, ses doutes, sa quête d’identité, le tout filmé avec sincérité et humour. Dommage que le résultat, assez mou, peine autant à décoller des critères du sundancien correct.

L’argument : Justin a dix-sept ans, mais suce encore son pouce. Justin ne sait pas parler aux filles. Justin entretient une relation amicale avec ses parents, qui ne comprennent pas ses angoisses. Seuls réconforts, son dentiste, un post-baba mystique, et son prof de débat. Et puis il y a ses pilules, qui lui redonnent la pêche...

Notre avis : Décernons d’abord le prix du titre le plus insipide de l’année aux traducteurs de Thumbsucker, "le suceur de pouce" en VO, qui ont trouvé cette pure merveille à faire fuir n’importe quel spectateur : Âge difficile obscur... ADO. Messieurs, bravo. Passons, et parlons du film, qui n’a pas choisi ses traducteurs.
Thumbsucker vient s’ajouter à la liste de plus en plus longue dans l’Hexagone des films made in Sundance, la crème du cinéma indépendant américain, bourrés de défauts et de tics comme leurs voisins hollywoodiens, à cette différence près qu’ils prennent un maximum de risques avec un minimum de moyens, et qu’ils se servent de leurs têtes. Sortent de ce panier-là des petits films sympas, des travaux soignés comme ce Thumbsucker ou Brick et de petites merveilles à la Thank you for smoking ou Little Miss Sunshine. Thumbsucker est une comédie dramatique peu bavarde, excellemment interprétée par un casting trois étoiles où n’existent que des seconds rôles. C’est une des autres spécialités du cinéma indépendant américain, et c’est tout à son honneur. Mis de côté son héros (Lou Pucci, récompensé à Sundance, justement), les autres personnages sont tous (ou presque) sur un seuil d’égalité. Ils ne sont que les satellites du héros. La palme revenant à un Keanu Reeves habitué de l’exercice, juste halluciné, sympathique et tordu comme il faut en dentiste new age.
Le sujet n’est ici pas franchement nouveau, puisqu’il s’agit de mettre en scène la fin d’adolescence pénible d’un jeune Américain de l’Oregon (un must see du cinéma indépendant, terre de Gus Van Sant). Sa particularité, faire du suçage de pouce le point de départ d’une analyse des troubles de l’adolescent. Sa mère est-elle trop souvent absente ? Manque-t-il de sexe ? Devrait-il fumer ? Pas question ici de démontrer quoi que ce soit. Le héros expérimentera par lui-même, ou avec l’aide d’une bonne série de pilules aux effets concluants. Evidemment, tout le petit monde qui l’entoure incarne une Amérique du looser type, du père qui aurait voulu être footballeur pro à la mère absente en passant par le prof ami avec ses élèves et le dentistes qui aurait dû faire psy. Reste qu’on préfère cette Amérique-là, à vif, névrosée, complexée, mais vraie et finalement assez attachante.
Malheureusement, il manque à Thumbsucker le brin de folie qui le ferait décoller. Si on est en droit de saluer la simplicité de sa mise en scène et la limitation de ses effets de styles, on finit par s’ennuyer un peu du manque d’audace du réalisateur, pourtant graphiste et créateur de métier. Malgré son prix à Sundance, la morosité et le cheveu gras du héros du film ne parviennent pas non plus à captiver. Reste une série de scènes sympathiques ou touchantes, portées par des performances d’acteurs, celles de Keanu Reeves et de Vince Vaughn, qui s’amuse comme un petit fou en prof à binocles, véritable caricature à gilet brodé maison.