Paris brûle-t-il ?
Le 19 mai 2004
Cadre urbain et histoire courte : une idée séduisante qui tient largement ses promesses.



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On vous l’avait annoncé et voilà que viennent d’être livrés les quatre premiers titres de "Noir Urbain", la nouvelle collection des éditions Autrement. Petite piqûre de rappel sur le concept : une histoire courte, dans un cadre urbain, complétée par un reportage photo. Une idée plus que séduisante et qui tient largement ses promesses.
Pour qui a déjà passé quelques temps dans la capitale, c’est une évidence : ces quatre premiers volumes collent parfaitement à la ville. Pour les autres, les fantasmes qu’alimentent Paris n’en seront que renforcés. À première vue, les histoires de Biberfeld (Évasion rue Quincampoix), Amoz (Tours de clef), Pouy (La vie Payenne) et Villard (Petite mort sortie Rambuteau) n’ont en commun que le fil conducteur imposé par la collection, chacun en profitant ainsi pour revisiter la notion de polar. Chez Pouy, il n’est nullement question d’intrigue policière (ce que l’on associe en général immédiatement au terme de polar), mais des retrouvailles manquées dix ans après de cinq amis, alors que la Patricia d’Amoz est submergée par son passé militantiste et violent. Et Lena, une mineure en galère, ses yeux perçoivent-ils la même ville que Dan le policier ? Rien n’est moins sûr. Et pourtant... Si les différences entre ces quatre grands romanciers sont flagrantes, tant par l’écriture et la construction des histoires, tous révèlent un Paris qui hante ceux qui y vivent, une ville obscure qui ne vous lâche pas dès qu’elle vous tient entre ses griffes. L’union entre les protagonistes et Paris ne se fait jamais pour le meilleur, ils n’ont signé que pour le pire et aucune chance de l’oublier : Paris est là pour leur rappeler.
Dans cette "première fournée", le plus fidèle à l’idée généralement admise du polar est sans nul doute Marc Villard. Son texte se situe dans la droite lignée de certains auteurs anglo-saxons, comme Ellroy ou Peace : la ville est le lieu qui cristallise toutes les violences, le flic est à la dérive, amoureux d’une prostituée qu’on assassine sur un air de jazz. À cette musicalité fait écho un style cinglant et une écriture rythmée, en ébullition. Villard poursuit le lecteur jusqu’au point final : un classique du genre. Mais le ton décalé de Pouy est plus bouleversant, plus pessimiste aussi : les rêves abandonnés reviennent parfois plus douloureusement en pleine tête qu’un coup de poing. Qu’il y a-t-il de pire finalement : un choc inattendu d’une brutalité inouïe et qui vous laisse irrémédiablement sur le carreau ou une destruction à petit feu, insidieuse qui vous ronge lentement de l’intérieur ? C’est ici une façon de formuler l’alternative que vous propose ces quatre volumes "Noir Urbain". Une seule certitude : le choix est impossible, tout comme celui qu’il faudrait faire si on devait désigner le "meilleur" des quatre.
Claude Amoz, Tours de clef ; Laurence Biberfeld, Evasion rue Quincampoix, Jean-Bernard Pouy, La vie Payenne ; Marc Villard Petite mort sortie Rambuteau, Autrement, coll. "Noir Urbain", 2004, 5 € chacun