Empire des milieux
Le 6 mai 2010
Le jeune cinéma documentaire chinois mis à l’honneur par l’INA dans un coffret intriguant, instructif, et qui permet de dévoiler une autre facette de la nouvelle superpuissance mondiale, loin des clichés et des fantasmes de l’Occident.
- Réalisateur : Zhao Liang
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Chinois
- Editeur vidéo : INA éditions
- Plus d'informations : Le site du DVD
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– Durée : 5h23min
– Sortie du coffret DVD : le 6 avril 2010
Le jeune cinéma documentaire chinois mis à l’honneur par l’INA dans un coffret intriguant, instructif, et qui permet de dévoiler une autre facette de la nouvelle superpuissance mondiale, loin des clichés et des fantasmes de l’Occident.
Les films
DVD 1 : Pétition, la cour des plaignants
L’argument : Le film se déroule aux abords de la gare de Pékin où des provinciaux viennent réclamer justice. A travers des personnages emblématiques, le film nous permet de saisir l’absurdité de cette cour de justice et la détermination de ces êtres qui ne croient plus qu’à un salut venu de l’administration.
DVD 2 : Crime et châtiment
L’argument : Nous voilà à la frontière avec la Corée. Le cinéaste filme des jeunes recrues de la police. A la manière d’Urgences de Raymond Depardon nous entrons dans le quotidien de ceux qui veillent à faire respecter la loi. On ne peut pas oublier ce vieil homme malmené par un agent pour absence de permis de travail. L’agent lui interdit de travailler sans se rendre compte que sans travail, sa vie perd tout son sens...
Notre avis : Elle se fait discrète en période de calme, mais apparaît bien souvent au détour d’une image de télévision lors d’une grande manifestation locale ou d’un reportage occidental : la police chinoise n’a pas la réputation d’être particulièrement conciliante avec les fauteurs de troubles dans les occasions de débordements. Alors quand Zhao Liang part à la frontière avec la Corée pour filmer les premières évolutions des recrues dans ce milieu très discipliné, pour ne pas dire militarisé, on devine tout le potentiel narratif qui se dessine derrière la trame documentaire ; sens du devoir contre faiblesses physiques et morales, exigence de sévérité contre inexpérience et empathie, comportement robotique contre émotions humaines. Cette intuition, le cinéaste cherche à la fois à la confirmer et à la démentir avec un plaisir filmique indéniable. Car s’il s’agit effectivement de représenter concrètement ce qui peut s’apparenter parfois à un dilemne moral, l’humour n’est pas absent de cet univers : il s’infiltre parfois de manière burlesque et iconoclaste dans les situations de la vie quotidienne, comme dans la séquence où deux policiers sont envoyés systématiquement écouter la plainte d’un fou qui signale des cadavres imaginaires. Cette note caustique introduit dans le documentaire un ton aigre-doux qui rend d’autant plus fort le sentiment d’absurdité du réel filmé par Zhao Liang.
Car le personnage principal de Crime et châtiment, c’est bien une administration policière boursouflée et tentaculaire, qui broie par sa puissance matérielle et symbolique les voix différentes qui pourraient s’élever tant en dehors d’elle qu’en son sein. Certes, dans cette province presque oubliée des mégalopoles ultramodernes, il est davantage question de larcins que de résistances réelles, de petits délits et de menu fretin criminel que d’ennemis publics numéro 1. Mais ce quotidien ordinaire, qui rend d’ailleurs le travail des policiers relativement rébarbatif, ne démontre pas moins que le sentiment dominant est celui d’une démesure des pouvoirs publics par rapport aux « dangers » que peuvent représenter les individus, contre la société et contre eux-mêmes. C’est sans doute ici que Zhao Liang, qui tient pourtant à ne pas présenter de thèse ou de pensum cinématographique, pointe le plus clairement du doigt les contradictions de la Chine actuelle, engluée dans des pratiques répressives et disciplinaires des corps et des esprits, pratiques que l’on pensait rattachées définitivement au passé. Plus que jamais, la Chine intrigue, interroge, voire inquiète : ce que semble vouloir la caméra de Liang, c’est qu’il faut avant tout l’écouter et la comprendre.
DVD 3 : Paper Airplane
L’argument : Une bande d’amis à Pékin. Des amis qui se droguent. Nous sommes à Pékin, mais ce qu’ils se disent, leurs envies et leurs déboires pourraient avoir lieu partout. On parle d’arrêter la drogue, d’éviter la police pour ne pas aller faire du travail forcé. On rêve et on aime aussi. Mais ce n’est pas si facile de vivre tout ça en même temps...
Notre avis : Il était une fois en Chine, l’absence de but et des vies vidées de leur sens. Les jeunes que filme Zhao Liang sont sans travail, sans passion ; d’un âge indéterminé, ils demeurent accrochés à une éternelle adolescence, certains vivant encore chez leurs parents. Leur amitié est réelle, mais fragile ; une parole comprise de travers, et les mots s’emballent. Une seule chose les réunit vraiment, la drogue, achetée à la va-vite, consommée entre deux cartons dans un appartement sale, et qui permet d’effacer pour un temps la crasse du quotidien. Paper Airplane est volontairement lent, répétitif, à la mesure du cycle inlassable qui conduit la bande de rémission en rechute. La caméra de Zhao Liang étudie, mais ne juge pas ; la plupart du temps, elle se contente d’ « être là », de prendre acte, non sans une part fugace de beauté, quand un espoir ou un sourire surgit. Pourtant, à plusieurs reprises, le documentaire témoigne, par de petites séquences révélatrices conservées au montage, d’une ambivalence fondamentale, entre nécessité de montrer et difficulté de filmer : si, selon plusieurs interviewés, les spectateurs « devraient voir ça », la présence cinématographique apparaît également comme une gêne. Etrangement, ce ne sont jamais les toxicomanes qui cherchent à se dérober au regard de l’objectif, mais plutôt les autorités traditionnelles précisément mises en crise par le phénomène de la drogue : police, famille...
Pour qui se laisse happer par le mythe médiatique d’une Chine productiviste et agressive vis-à-vis de l’Occident, la démarche documentaire de Zhao Liang a le mérite de rétablir un juste regard sur la réalité dans toutes ses nuances, avec une liberté qui va à l’encontre de tous les clichés sur l’impuissance de l’expression dans l’Empire du Milieu. Bien entendu, la parole du cinéaste est politique, sans concessions, féroce par son silence paradoxal. On peut toutefois regretter que la partialité avouée du documentaire - Liang filme des proches, s’adresse avec tendresse à leurs parents, mais n’intervient jamais directement dans une scène - semble parfois chercher à excuser le comportement de ces jeunes, sans plus d’investigation sur la cause de leur désarroi. Tableau social, brossé dans un naturalisme cinématographique à la façon d’une gravure du XIXème siècle, plus que pamphlet à vif, Paper Airplane laisse planer un doute sur son but final : informer ? Alerter ? Dénoncer ? Sans doute un mélange des trois ; ce qui est incontestable, c’est la spontanéité avec laquelle Zhao Liang prend la caméra, comme d’autres prendraient la plume ou écriraient un blog sur Internet. Elle n’a peut-être pas de « manifeste » clair ou d’appel à la lutte, mais dans un pays où les médias gardent sans cesse sur eux le poids d’une muselière, cette démarche participe bien d’une forme de résistance.
Le coffret DVD
Saluons l’initiative de l’INA de faire découvrir au grand public un cinéma documentaire peu connu, qui tranche avec les représentations habituelles de la Chine contemporaine. Un triptyque sérieux, qui propose avec bonheur un corpus de films complémentaires.
Les suppléments
On goûte avec plaisir, comme épilogue à cette saga sociale chinoise, les trois courts-métrages de Liang, qui font pencher le travail de documentaire vers l’art vidéo et la rêverie urbaine. On regrette en revanche que l’interview de Liang à Cannes soit aussi courte (7 minutes), quand une place aussi maigre est faite dans la critique française au cinéma documentaire international.
Image
Belle colorimétrie sur chacun des films - en particulier Paper Airplane -, mais l’image vidéo reste malgré tout affectée d’un grain très apparent dans les zones de gris, et qui rend la vision parfois un peu pénible.
Son
Même avec un son en prise directe, on pouvait attendre un mixage un peu plus heureux que cette piste stéréo qui aplatit malheureusement nombre de détails sonores. Toutefois, un bon point pour les rares parties musicales, qui s’intègrent avec plus de bonheur que les voix au reste du mixage.
Galerie photos
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