Le 6 décembre 2020
Carlotta a eu la bonne idée de sélectionner cinq œuvres de la dernière partie de la carrière touffue de Claude Chabrol, dans un coffret "Suspense au féminin" qui se révèle tout autant féministe, restauré en bluray, riche de bonus passionnants.
- Réalisateur : Claude Chabrol
- Acteurs : Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart, Nathalie Baye, Benoît Magimel, Suzanne Flon, Michel Serrault, Mélanie Doutey, François Cluzet , Jean-Pierre Cassel, Brigitte Catillon, Sandrine Bonnaire, Virginie Ledoyen, Anna Mouglalis, Jacques Dutronc, Jacqueline Bisset, Bernard Le Coq, Thomas Chabrol
- Nationalité : Français
- Distributeur : Carlotta Films, MK2 Distribution
- Durée : 8h40min
- Date de sortie : 4 décembre 2020
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- Copyright Carlotta Films
Critique :
1 "L’enfer"
Film dramatique français de Claude Chabrol (1994). Avec François Cluzet, Emmanuelle Béart, Marc Lavoine, Nathalie Cardone, André Wilms, Mario David, Jean-Pierre Cassel et Christiane Minazzoli.
Sortie initiale : 16/02/1994.
Paul Prieur (François Cluzet) a pu racheter l’auberge dans laquelle il travaillait. Très vite, il va épouser uns belle fille du pays, Nelly (Emmanuelle Béart) avec qui il va avoir un enfant. Mais les affaires ne sont pas si brillantes que ça et Paul commence à être jaloux.
Une fois n’est pas coutume, Claude Chabrol reprend ici un scénario, et qui plus est d’un film inachevé. Celui-ci, homonyme avait été commencé en 1964 par Henri-Georges Clouzot, avec Romy Schneider et Serge Reggiani dans les rôles principaux. Il fut arrêté en raison de problèmes de santé et jamais repris. Inès, la seconde épouse de Clouzot, mort en 1977, proposa au producteur Marin Karmitz de confier le projet à Chabrol qui connaissait Clouzot.
Bien évidemment, le cinéaste chevronné ne va pas se contenter d’une adaptation telle quelle, mais va en faire une œuvres tout autant personnelle que les autres.
L’enfer, c’est la jalousie maladive qui va naître et croître dans l’esprit de Paul à qui pourtant tout semblait réussir : patron d’un hôtel dans une belle région et marié avec l’une des plus belles filles du pays. Mais, comme souvent chez le cinéaste, les apparences cachent des tourments et des fêlures. Tout en laissant le spectateur se faire sa propre opinion, il laisse planer des doutes : l’affaire de Paul est-elle aussi florissante qu’il y paraît, surtout depuis qu’un concurrent ambitieux s’est installé à proximité ? Nelly, sa femme est-elle si innocente dans ses rapports avec la gente masculine ?
La jalousie de Paul va être de nature à tout bouleverser et, à partir de là, c’est tout le suspense du film qui tient jusqu’à la dernière minute.
Emmanuelle Béart prête sa plastique pulpeuse et ses airs boudeurs à Nelly, objet de toutes les turpitudes de Paul. François Cluzet, sérieux et bien mis, réussit une belle prouesse à devenir de plus en plus inquiétant, à mesure que sa jalousie empire.
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2 "La cérémonie"
Film policier français de Claude Chabrol (1995). Avec Sandrine Bonnaire, Isabelle Huppert, Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Cassel, Virginie Ledoyen, Valentin Merlet et Jean-François Perrier.
Sortie initiale : 30/08/1995
Dans un bistrot, Catherine Lelièvre (Jacqueline Bisset) rencontre Sophie (Sandrine Bonnaire) qui a répondu à une annonce pour un poste de domestique. Quelques jours après, Catherine vient chercher Jeanne à la petite gare proche de la belle demeure où elle vit avec Georges, son mari (Jean-Pierre Cassel), sa belle-fille Melinda (Virginie Ledoyen) et son jeune fils Gilles (Valentin Merlet). En sortant de la gare, elles tombent sur Jeanne (Isabelle Huppert), la postière qui cherchait à se faire ramener au village.
Le cinéaste, avec sa malice habituelle, qualifiait lui-même La cérémonie de film marxiste. Cette pirouette verbale n’en révèle pas moins le contexte de cette œuvre fondée sur une idée de la lutte des classes.
Le scénario est tiré d’un roman de Ruth Rendell datant de 1977 A judgement in stone ("L’analphabète"), lui-même inspiré de l’affaire Papin qui défraya la chronique française en 1933.
L’étincelle du drame va se produire de la rencontre entre la domestique Sophie, mutique et énigmatique, mais sans conscience politique, avec Jeanne la postière, extravertie, bavarde, et bien au fait de sa condition sociale. Un passé trouble qu’elles ont vécu l’une et l’autre va les réunir dans une entreprise meurtrière aussi inattendue qu’improvisée. De l’autre coté, on trouve la famille bourgeoise, hypocritement compatissante, réellement autosatisfaite de sa réussite.
Le casting est impeccable, notamment pour son quatuor féminin : Virginie Ledoyen en fausse ingénue, Jacqueline Bisset, la grande bourgeoise élégante et tout sourire, Isabelle Huppert, petit zébulon hyperactif quasiment à contre-emploi, et Sandrine Bonnaire, visage fermé, démarche retenue et la parole rare.
Parmi plusieurs récompenses obtenues par le film, Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert ont conjointement obtenu la Coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise 1995 et Isabelle Huppert recevra seule le César de la meilleure actrice en 1996.
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3 "Rien ne va plus"
Comédie dramatique française de Claude Chabrol (1997). Avec Michel Serrault, Isabelle Huppert, François Cluzet, Jean-François Balmer, Jackie Berroyer et Jean Benguigui.
Sortie initiale : 15/10/1997
Dans un casino, Betty (Isabelle Huppert) rencontre en jouant à la roulette Chatillon (Jackie Berroyer), un représentant de commerce en matériel de jardin, qui participe à un séminaire à l’hôtel voisin. Elle est surveillée de loin par Victor (Michel Serrault), qui va les suivre quand ils rentrent à l’hôtel pour prendre un dernier verre
Dans cette comédie grinçante, il n’y a pas d’intrigue policière à proprement parler. Le récit suit le parcours de deux petits arnaqueurs, Betty et Victor, qui passent leur vie à piéger des gogos. On ne saura rien de leur réel lien : mari et femme, amis, ou plus probablement père et fille. Dans la première moitié du film, ils sont à leur aise à plumer un représentant de commerce admirablement campé par un Jackie Berroyer qui se croit malin. Ensuite, le pigeon représenté par François Cluzet, comptable indélicat, sera un morceau un peu trop gros pour leurs moyens. C’est cette deuxième partie, et particulièrement dans les scènes se déroulant à la Guadeloupe, qui pêche un peu par un mélange de violence et de grand guignol, qui crée un malaise malvenu.
Maintenant, on se délecte des curieuses relations entre Michel Serrault le vieux bougon malicieux et Isabelle Huppert, en femme caméléon, brune, puis blonde et enfin rousse aux cheveux courts. Ces deux-là, désormais habitués de l’univers de Chabrol, s’y fondent avec gourmandise et s’en donnent à cœur joie
4 "Merci pour le chocolat"
Film dramatique français de Claude Chabrol (2000). Avec Isabelle Huppert, Jacques Dutronc, Anna Mouglalis, Rodolphe Pauly, Brigitte Catillon, Michel Robin et Mathieu Simonet.
Sortie initiale : 25/10/2000
A Lausanne, Marie-Claire Muller dite "Mika" (Isabelle Huppert), héritière des chocolats Muller et André Polonski (Jacques Dutronc), pianiste classique de renom, se marie civilement. Lors du vin d’honneur qui suit où l’on découvre le fils d’André, Guillaume (Rodolphe Pauly), les réflexions ne sont pas toutes bienveillantes. Ailleurs, lors d’un repas au restaurant, Jeanne (Anna Mouglalis) découvre par une confidence de sa mère Louise (Brigitte Catillon) qu’elle a failli être échangée à la clinique, où elle est née le même jour que Guillaume.
Claude Chabrol adapte pour la seconde fois la romancière américaine Charlotte Armstrong après La rupture (1970) tiré de "The balloon man" ("Le jour de Parques" 1968). Cette fois, il choisit The chocolate cobweb ("Et merci pour le chocolat"), un roman de 1948.
Dans le calme suisse, une histoire d’échange de bébés avérée ou pas, va déclencher un drame qui en rappellera un plus ancien. Comme souvent chez Chabrol, les personnages sont prisonniers d’un lourd passé : Mika épouse le veuf de sa meilleure amie morte brutalement dans un accident de voiture. Lui semble ailleurs, uniquement préoccupé par la musique. Jeanne, jeune pianiste qui n’a pas froid aux yeux, va être fascinée par ce virtuose qui, finalement, est peut-être son père.
Mika, froide, distante, mais d’une douceur affable, semble bichonner son petit monde, en concoctant un chocolat chaud exceptionnel dont elle a le secret.
Isabelle Huppert, l’habituée du cinéaste, campe un personnage encore différent, d’une douceur toute vénéneuse. Jacques Dutronc, nouveau venu chez Chabrol, est parfait derrière son piano avec son éternel sourire énigmatique et sa mèche rebelle.
Anna Mouglalis, presque débutante, mutine et fonceuse, reussit à trouver sa place aux côtés de ces deux acteurs chevronnés.
Claude Chabrol aimait à dire que l’idée de tourner ce film lui était venue du souvenir d’un film mésestimé d’Alfred Hitchcock Secret agent ("Quatre de l’espionnage" 1936) qui se passe en Suisse et où le chocolat joue un rôle ! Vrai ou pas, c’est charmant et cela représente un bel hommage à l’un de ses modèles.
Toujours dans la droite ligne de la cinéphilie de Chabrol, Mika offre deux films à son beau-fils (des cassettes VHS !) en les citant : ce sont Secret beyond the door ("Le secret derrière la porte" 1948) de Fritz Lang et La nuit du carrefour de Jean Renoir (1932).
Le film a obtenu le prix Louis-Delluc 2000.
5 "La fleur du mal"
Film dramatique français de Claude Chabrol (2002). Avec Nathalie Baye, Benoît Magimel, Mélanie Doutey, Bernard Le Coq, Suzanne Flon et Thomas Chabrol.
Sortie initiale : 19/02/2003
Années 40 : Dans une grande maison bourgeoise de la région bordelaise, on découvre une femme prostrée dans une chambre et dans une autre, le corps sans vie d’un homme qui, visiblement, a été assassiné.
De nos jours, dans la même maison, on retrouve la famille Charpin-Vasseur : Anne (Nathalie Baye) qui se présente aux élections municipales, son mari Gérard (Bernard Le Coq), pharmacien coureur de jupons, la fille d’Anne, Michèle (Mélanie Doutey), étudiante, et Tante Line (Suzanne Flon), qui fait office de gouvernante. Ils attendent François (Benoît Magimel), le fils de Gérard, de retour après quatre ans d’études aux États-Unis.
Ce petit monde bourgeois cher à Claude Chabrol, sous ses airs lisses et symbolisant la réussite sociale, cache plusieurs secrets qui vont nous être révélés petit à petit. C’est une lettre anonyme envoyée à la candidature à la municipalité qui va déclencher des réactions en chaîne. Le courrier dénonce un crime datant de l’occupation et deux accidents douteux, l’un en 1958, l’autre en 1981. Quelle est la part de vérité dans cette dénonciation et qui a pu envoyer ce courrier ?
La question restera posée tout au long du film qui, d’ailleurs, en pose bien d’autres : quels sont les vrais liens familiaux qui unissent François et Michèle ? Quels sont les réelles relations entre Anne et son proche collaborateur Mathieu (Thomas Chabrol) ? La tante Line est-elle vraiment la douce et gentille vieille dame qu’elle laisse paraître ? Pourquoi Gérard est-il si hostile à l’engagement politique de sa femme ?
Chabrol s’amuse à regarder vivre ce petit microcosme familial, où les liens et les relations posent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses.
La distribution est impeccable, comme souvent chez le réalisateur, avec une équipe composée quasi totalement de nouveaux venus dans son univers : Nathalie Baye, tirée à quatre épingles, qui se fait un point d’honneur à faire du porte-à-porte dans les HLM, Bernard Le Coq, ignoble et pitoyable dragueur porté sur la bouteille, Suzanne Flon, la tante idéale...du moins en apparence, et le couple Mélanie Doutey/Benoît Magimel, doux et gentil, mais qui s’intégrera sans problème dans la tradition familiale.
Test DVD/Bluray
Ce coffret impeccablement restauré par Carlotta films regroupe cinq des films les plus récents de Claude Chabrol qui mettent en valeur des femmes, comme c’est souvent le cas dans son à œuvre. Ce choix, qui en vaut un autre, permet toutefois de comprendre ou de mieux appréhender, pour les plus connaisseurs, l’univers du cinéaste. C’est aussi par la générosité des bonus que l’on découvre son travail. Le coffret propose un florilège de compléments, directement liés à chaque film ou pas, d’une durée au moins équivalente aux cinq long métrages. Le plus enrichissant se trouve dans le commentaire filmé que fait l’auteur lui-même de chacun de ces cinq créations devant une table de projection. Casque sur les oreilles, il décortique plusieurs plans. En surface, il nous parle de technique, mais, en filigrane, il en révèle plus sur son style, ses intentions et la grande méticulosité qu’il mettait en chaque chose. Les autre compléments sont quelques making of ou des interviews d’acteurs ou de collaborateurs : celle de Caroline Eliacheff, psychanalyste et scénariste occasionnelle pour Chabrol, apporte un éclairage pertinent sur son travail très pointu, masqué par une désinvolture calculée et une bonhomie bien réelle Les nombreuses interviews d’acteurs (Isabelle Huppert, son actrice fétiche, Sandrine Bonnaire, Jacqueline Bisset, Michel Serrault, Jacques Dutronc, Bernard Le Coq, Nathalie Baye...) soulignent toutes les qualités humaines du cinéaste, qui s’avéra un directeur d’acteurs tout en douceur, néanmoins hors pair. Tous disent qu’il partait du principe que s’il avait choisi un un comédien ou une comédienne pour un rôle, il ou elle trouverait le ton, sans qu’il ait à les diriger frontalement. L’interview iconoclaste de Jacques Dutronc réalisée pendant le tournage de "Merci pour le chocolat" devant un piano vaut le détour, avec cigare gênant la diction, notes de piano "involontaires", digressions incessantes, phrases en suspens... mais soulignons les qualités de l’intervieweur Nicolas Saada, car finalement l’artiste se livre comme rarement et rend un bel hommage, à sa façon, au cinéaste. Claude Chabrol s’entourait toujours de la même équipe de tournage ou presque. Celle-ci étant composée de nombreuses femmes, l’hommage à celle-ci advient donc autant derrière que devant la caméra. Enfin, on retrouve toujours les mêmes ingrédients et les mêmes petites marottes du cinéaste : des scènes de repas, des liens de famille complexes, des situations volontairement pas toujours explicitées, des fins énigmatiques... et chez Chabrol, on fait la vaisselle à la main !
La jaquette et les nouvelles affiches, réalisées spécialement pour l’occasion sont dues à l’artiste visuelle Akiko Stehrenberger
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