Le 3 novembre 2020
Ces premières œuvres de Miloš Forman, respectueusement restaurées, illustrent le travail d’un franc-tireur dans la Tchécoslovaquie toujours sous domination soviétique, qui lui donnèrent le titre de chef de file de la Nouvelle Vague, dans son pays.
- Acteurs : Ladislav Jakim, Jan Vostrcil, Hana Brejchová, Vladimir Puchold
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Tchèque
- Editeur : Carlotta Films
- Date de sortie : 4 novembre 2020
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Résumé : Les deux docu-fictions et les trois fictions regroupés dans ce coffret représentent la totalité des premières oeuvres de Miloš Forman avant qu’il ne quitte son pays natal, la Tchécoslovaquie.
Copyright Carlotta Films
1 L’audition ("Konkurs"). Deux moyens métrages tchécoslovaques de Miloš Forman (1963).
"Ah, s’il n’y avait pas ces guinguettes" ("Kbyby ty musiky nebity" 0h35), avec Jan Vostrcil, Frantisek Zeman et Vladimir Pucholt et "L’audition ("Konkurs" 0h45), avec Vaclav Blumenfeld, Hana Hegerová et Ladislav Jakim.
A "Ah, s’il n’y avait pas ces guinguettes" : Deux jeunes hommes passionnés de moto sont également musiciens, chacun dans une fanfare.
B "L’audition" : A Prague, au théâtre Semafor, un concours de chanteuses de rock attire du nombreux jeunes, dont une jeune pédicure, qui invente une convocation au tribunal, pour s’échapper du salon où elle travaille.
Ces deux premières œuvres de Miloš Forman sont réunies et présentées comme un seul film. S’il n’y a pas qu’une histoire de durée globale pour ce choix, c’est aussi qu’il y a une réelle continuité de l’une à l’autre : ils sont tournés en 16 mm noir et blanc sous forme de documentaire, s’intéressent à la jeunesse et donnent une place prépondérante à la musique.
Dans le premier segment, deux jeunes garçons font les malins en moto devant des filles qui gloussent, avant de rejoindre leurs très sérieuses fanfares où les chefs d’orchestre ne prennent pas la musique à la légère. On sent la poussée d’une jeunesse qui découvre la liberté occidentale, symbolisée ici par la moto, et à contrario la représentation conservatrice d’une musique datée et très pompeuse.
Dans le second, une foule de jeunes femmes se presse pour passer une audition auprès d’un chanteur à la mode. On assiste à un défilé de prétendantes plus ou moins talentueuses, sous la caméra goguenarde de l’auteur. On suit particulièrement une jeune manucure moins timide qu’il n’y paraît, et la choriste d’un groupe de twist amateur qui, elle, en revanche, n’est pas si sûre d’elle.
Avec le coscénariste Ivan Passer, qui l’accompagnera durant toute sa période tchécoslovaque, Miloš Forman égratigne avec malice la société de son époque, où la jeunesse commençait à se sentir coincée dans un pays toujours sous coupe réglée soviétique. L’aspect très documentaire donne de la véracité à toutes les scènes pour la plupart musicales.
Suivront trois films dans la même veine, mais plus fictionnels, plus écrits, et aussi plus incisifs, qui seront les derniers que le cinéaste tournera dans son pays avant de démarrer une carrière américaine avec le succès que l’on connaît. Ce seront L’as de pique ("Cerný petr" 1964), Les amours d’une blonde ("Lásky jedné plavovlásky" 1965) et Au feu les pompiers ! ("Hoŕi, má panenko" 1967).
2 L’as de pique ("Černý Petr"), film tchécoslovaque de Miloš Forman (1964). Avec Ladislav Jakim, Pavla Martinková, Jan Vostrćil, Vladimir Puchold, Božena Matušková et Pavel Sedláček.
Dans une petite ville, le jeune Petr (Ladislav Jakim) vient d’être embauché dans une supérette. Là où il pensait être vendeur, on lui demande de surveiller les clients pour éviter les vols. Chez lui, fils unique, il est coincé entre une mère possessive qui veut tout savoir, et un père tout aussi autoritaire que pontifiant. Même les sorties avec d’autres jeunes sont mornes dans une ville où il n’y a guère d’activités pour les jeunes. Il tente maladroitement de séduire une jeune fille qu’il a rencontrée au bord du lac : Aša (Pavla Martinkovă).
Après deux moyens métrages, qui tenaient du docu-fiction, Miloš Forman se lance en 1964 dans son premier long métrage, qui, lui, est une totale fiction, néanmoins interprétée par des non professionnels, hormis Vladimir Puchold.
Toujours épaulé par Ivan Passer, le réalisateur travaillait pour la première fois avec Jaroslav Papoušek, qui restera son coscénariste, jusqu’à ce que le cinéaste quitte la Tchécoslovaquie.
Bien que romancé, le récit décrit un monde bien terne et fermé, cantonnant les jeunes dans la morosité permanente de la Tchécoslovaquie du début des années 60. Le parti pris de travailler avec des amateurs, avec probablement des moments d’improvisation, donne au film un côté spontané tout à fait novateur à l’époque.
Bien qu’ancré dans la réalité sociale, l’humour prédomine, grâce à un décalage entre les situations et le sérieux des propos. Les conseils, tant du père que du patron de la supérette, confinent au ridicule : le lymphatique et maladroit Petr entend les mêmes litanies au travail, dans un métier qui l’ennuie, qu’à la maison où il doit de plus répondre aux interrogatoires minutieux de sa mère. Il y aurait bien les sorties pour respirer un peu, mais à l’heure des premiers émois, il n’y a guère de place pour l’intimité, surtout quand les deux jeunes gens sont d’une gaucherie maladive.
Le seul comédien professionnel, le jeune Vladimir Puchold campe avec un étonnant détachement un apprenti maçon tout à la fois timide et bagarreur, qui s’endort au premier verre d’alcool. Déjà présent chez Miloš Forman dans le docufiction L’audition (’Konkurs", 1963), il sera revu dans Les amours d’une blonde ("Lásky jedné plavovlásky", 1965).
L’interprète non professionnel Jan Vostrčil, qui incarne le père de Pietr, jouait (on l’imagine, car l’histoire ne le dit pas) le même rôle dans L’audition comme chef d’orchestre, et on le retrouvera dans différents personnages dans les autres films tchécoslovaque de l’auteur.
3 Les amours d’une blonde ("Lásky jedné plavovlásky"), film tchécoslovaque de Milos Forman (1965). Avec Hana Brejchová, Vladimir Pucholt et Vladimir Menśik et Josef Kolb.
Zruč, petite ville de Tchécoslovaquie : dans un internat pour jeunes filles réservé aux ouvrières de l’usine, Andula (Hana Brejchová) fait des confidences à sa voisine de chambre sur ses amours. Elle hésite entre deux prétendants. L’un lui a offert une bague, le second lui plaît mieux, mais il est déjà marié. Le maire, également directeur de l’usine (Josef Kolb), a fait le voyage jusqu’à Prague. Il plaide pour faire implanter une caserne dans sa ville où, démographiquement, il n’y a qu’un garçon pour seize filles. Quelque temps plus tard, arrive à Zruč un train de militaires sous la musique de la fanfare. Malheureusement, il n’en sort que des réservistes qui ne sont plus de première jeunesse.
Sur un ton doux amer, le récit suit les aventures amoureuses de la blonde Andula, dans la province de la Tchécoslovaquie des années 60. Si la jeunesse essaie de s’émanciper à l’instar des pays de l’Ouest, elle est encore corsetée par la tradition et l’omniprésence du pouvoir soviétique. Certes, les jeunes femmes commencent à travailler et rêvent de liberté, mais elles sont vite rattrapées par la dure réalité de cette société patriarcale, qui commence néanmoins à se craqueler.
La scène du bal (lieu de vie important que l’on retrouvera dans le film suivant de Miloš Forman Au feu les pompiers !) est bien révélatrice de cette situation. D’un coté, des tables de bidasses, un peu gauches qui lorgnent sur les filles. De l’autre, les filles de l’usine, qui se sentent épiées, et trouvent ces messieurs trop âgés, mais se laissent néanmoins approcher. Le tout rythmé par un orchestre traditionnel qui tente d’occidentaliser son répertoire. Les manœuvres des trois militaires, qui tentent un peu mollement de séduire Andula et ses deux amies, vont donner lieu à des scènes aussi cocasses que pathétiques. Finalement, Andula, plus délurée, passera la nuit avec le pianiste de l’orchestre, Milda (Vladimir Pucholt) !
Andula ne sait pas forcément ce qu’elle veut. Elle veut juste sortir de sa condition d’ouvrière, destinée à devenir mère au foyer à plus ou moins court terme. Sa liaison avec le pianiste qui vient de la capitale lui laisse augurer de vivre autre chose. Elle déchantera vite.
Il y a du féminisme et du désenchantement dans ce film où l’on sent clairement l’influence de la Nouvelle Vague française. Il contient également une critique du système qui passe complètement à côté de sa jeunesse. Le stratagème grossier du maire tournera vite court.
Avec un ton qui mêle mélancolie et ironie, le film montre toute la vacuité d’un monde dépassé. On s’amuse beaucoup des mimiques satisfaites du maire, des maladresses des militaires ou encore des chamailleries des parents de Milda. Mais, en même temps, on est triste pour Andula dont l’avenir se semble guère réjouissant.
Le metteur en scène, épaulé par Ivan Passer, fait preuve d’une belle maturité et d’une certaine clairvoyance dans ce film d’un beau noir et blanc et qui vient de bénéficier d’une belle restauration.
4- Au feu les pompiers ! ("Hoří ma panenjo !"), comédie burlesque de Miloš Forman (1967). Avec Jan Vostrcil, Josef Sebanek et Josef Valnoha.
A la veille du grand bal des pompiers, on met la dernière touche aux préparatifs. Un homme, perché sur une échelle brûle les coins d’une grande affiche pour lui donner un air de vieux parchemin. Un pompier tient l’échelle, pendant qu’un autre s’aperçoit qu’un des lots de la tombola. Les deux pompiers vont se chamailler, faire tomber l’homme sur l’échelle, ce qui mettra le feu à l’affiche qui brûlera entièrement !
Ce pré-générique donne le ton de ce film irrévérencieux qui semble avoir été écrit par de sales gamins, comme s’ils faisaient un pied de nez à leurs contemporains. C’est probablement ce qui a conduit la censure tchécoslovaque de l’époque à interdire le film.
Avec trois autres scénaristes, dont Ivan Passer qui fera aussi une belle carrière à Hollywood, Miloš Forman réalise ici son dernier film au pays, avant de partir (fuir) aux États-Unis, après la répression du printemps de Prague. On connaît ensuite le brillant parcours qui sera le sien.
Le film choral se déroule comme une espèce de pantalonnade grinçante, le temps d’une soirée officielle qui va dégénérer. Les pompiers, sanglés dans leurs uniformes, tout gonflés de leur importance, ont la "bonne idée" d’organiser au dernier moment un concours de miss. Il faut déjà les trouver dans les participantes du bal. Les critères retenus par ces messieurs vont être plus ou moins pertinents ! Le pompier, qui s’était aperçu du vol dans les lots de la tombola, va passer une soirée épouvantable, car les vols vont se poursuivre devant son nez pendant la soirée ! Le défilé des miss, contrarié par une intervention des pompiers sur un feu, va tourner au pugilat...
Sous couvert d’une comédie burlesque, Miloš Forman, avec une belle maestria, dénonce avec finesse l’état d’esprit et les travers de la société tchécoslovaque des années 60 : il n’y a pas d’individu, il y a un groupe, on ne veut pas faire de vague au risque de se déjuger, on improvise beaucoup et on rate souvent ce que l’on entreprend. Quant à la générosité, elle n’est plus ce qu’elle était.
La fin dans la neige, sans la dévoiler, apparaît comme la photographie d’une société délabrée où tout est perdu : il ne reste plus qu’à dormir pour oublier.
Test DVD/Bluray
Versions restaurées des premières oeuvres de Miloš Forman tournées en Tchécoslovaquie, présentées pour la première fois en bluray. Carlotta films a fait un excellent travail, en respectant quelques imperfections liées aux moyens de tournage. La restauration du son sert avec précision les nombreuses scènes musicales. Seuls deux courts documentaires du même auteur, Luc Laget, sont ajoutés aux films. C’est peu, mais cela permet de comprendre la genèse de l’œuvre à venir et aussi son premier film américain "Taking off" (1971), qui sera comme une prolongation de la période tchécoslovaque.
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