Le 7 janvier 2021
Blaq Out propose, dans ce coffret, trois des cinq films du couple Roberto Rossellini/Ingrid Bergman, impeccablement restaurés et accompagnés de compléments utiles à la compréhension de leur couple de cinéma tout à fait atypique.
- Réalisateur : Roberto Rossellini
- Acteurs : Ingrid Bergman, George Sanders, Maria Mauban, Mario Vitale , Mathias Wieman
- Genre : Noir et blanc
- Nationalité : Italien
- Durée : 5h45min
- Titre original : "Stromboli terra di Dio", "Viaggio in Italia" et "La paura"
- Date de sortie : 5 décembre 2020
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Critique :
1- Stromboli ("Stromboli, terra di Dio"), film dramatique italien de Roberto Rossellini l(1950). Avec Ingrid Bergman, Mario Vitale, Renzo Cesana, Mario Sponza et Roberto Onorati.
Sortie initiale : 18 octobre 1950
Dans une ville d’Italie, des réfugiés de plusieurs nationalités et des militaires italiens sont parqués sous la garde des Alliés. Karen (Ingrid Bergman), une veuve d’origine tchécoslovaque, s’y trouve en raison d’une liaison qu’elle a entretenue avec un officier allemand. Ne pouvant pas justifier une immigration vers l’Amérique du Sud, elle accepte de se marier avec Antonio (Mario Vitale), un jeune appelé qu’elle va suivre sur l’île de Stromboli, où il compte reprendre sa vie de pêcheur.
Karen, issue de la grande bourgeoisie, qui, on le devine, a eu un parcours compliqué pendant la guerre, est prête à tout pour sortir du camp de prisonniers où elle est retenue dans des conditions difficiles. Ne pouvant quitter l’Italie, elle accepte, sans passion, d’épouser un homme jeune et simple, pour qui ce sera aussi un moyen d’échapper à sa réclusion. Seulement, le vie sur l’île de Stromboli est un lieu aussi isolé que rude, et particulièrement inhospitalier pour une étrangère qui semble, selon les autochtones, une originale qui les méprise.
Karen comprend très vite, à peine débarquée sur l’île, qu’elle a commis une erreur en pensant se sauver par ce mariage de circonstance. Le village est désolé, les maisons spartiates, dont beaucoup sont abandonnées, leurs habitants ayant émigré en nombre pour les États-Unis. La maison d’Antonio est totalement délabrée et démoralise la veuve dès le premier soir.
En 1948, Ingrid Bergman, star à Hollywood, a écrit à Roberto Rossellini après avoir visionné sa "trilogie de la guerre", pour lui proposer rien moins que de tourner sous sa direction. Bien qu’improbable, cette rencontre entre une vedette américaine et un metteur en scène intellectuel passant (à tort) pour un communiste à Hollywood, débouchera non seulement sur une série de films entrés dans l’histoire, mais donnera naissance à l’un des couples du cinéma des plus célèbres, qui sera aussi l’un des plus controversés du moment.
Stromboli, le premiers des cinq films qu’ils tourneront ensemble, est aussi le plus significatif. On ne peut que noter le parallèle entre le destin du personnage Karen et celui de l’actrice d’origine suédoise, déracinée de son pays, ne maîtrisant pas la langue, accueillie de manière plutôt hostile dans l’île.
La rencontre des deux artistes a déplu pour plusieurs raisons : l’Amérique "perdait" l’un de ses fleurons, Rossellini était considéré comme un gauchiste selon les codes hollywoodiens, et il faisait de l’actrice une femme aux mœurs discutables, habillée très simplement (mal fagotée ont pu dire certains à l’époque) et sans maquillage.
Le milliardaire Howard Hughes, qui avait accepté de produire le film, via son studio RKO, presque uniquement en raison de la présence d’Ingrid Bergman au générique, regrettera sa décision ultérieurement : pas de scénario fermement établi, dépassement voire doublement de la durée de tournage, post-synchronisation laborieuse, notamment pour la version en langue anglaise... et le tout pour arriver à un bide monumental, là où le producteur pensait faire un "coup".
Le film, aujourd’hui considéré comme un classique, ne manque pourtant pas d’atouts, grâce à l’aspect documentaire de plusieurs séquences : la vie du camp de réfugiés, les scènes de pêche, l’éruption du volcan...
L’histoire, exempte de tout romantisme, suit le personnage de Karen, prête à beaucoup pour sortir de sa condition, et qui ne cessera d’être victime de sa propre vanité. Rossellini, comme souvent, emmène son récit vers une morale qui tient du mystique, mais propose un cinéma novateur, ancré dans sa réalité sociale et historique.
Sa rencontre avec Ingrid Bergman, loin d’être uniquement une page des carnets roses du cinéma -ce qui prima à l’époque- a produit quelques films tout à fait exceptionnels que les critiques français (les Cahiers du Cinéma) seront les premiers à reconnaître.
2- Voyage en Italie ("Viaggio in Italia"), film dramatique italien de Roberto Rosselini (1954). Avec Ingrid Bergman, George Sanders, Maria Mauban, Anna Proclemer, Tony La Penna, Natalia Ray et Paul Muller.
Sortie initiale : 20 décembre 1954
Un couple de Britanniques, Katherine et Alexander Joyce (Ingrid Bergman et George Sanders), approche de Naples dans son coupé décapotable. Ils sont en Italie pour vendre une maison qu’un oncle leur a laissée en héritage. Leurs échanges aigres-doux laissent entendre des difficultés entre eux.
Pour sa troisième collaboration avec Ingrid Bergman, désormais Madame Rossellini, le cinéaste lui offre de nouveau le rôle d’une femme en crise, confrontée à des lieux qu’elle ne connaît pas.
Cette fois, c’est une héroïne qui jouit d’une belle situation, mais mariée à un homme qu’en fait elle méconnaît totalement. C’est la première fois qu’ils sont amenés à passer quelques jours ensemble... ou presque. Parce que très vite, comme ils ont l’impression de n’avoir rien en commun et rien à se dire, chacun passera rapidement ses journées de son côté. Lui, en séduisant mollement une compatriote rencontrée le premier soir, et elle en écumant les musées de Naples.
Rossellini filme la crise d’un couple de manière inédite, sans cris, sans portes qui claquent et au moins en apparence, sans jalousie. Le choix de George Sanders, acteur anglais shakespearien, habitué au cinéma aux rôles de mondains cultivés et détachés, est tout à fait judicieux. Sauf que l’acteur, rompu aux tournages préparés et planifiés, s’adapte très mal aux façons de faire de l’Italien qui change perpétuellement les détails du scénario et réécrit souvent les dialogues au jour le jour. Ingrid Bergman servira de messagère entre ces deux hommes qui, très vite, ne se parleront plus !
Comme souvent chez le cinéaste, plusieurs scènes contiennent de la matière documentaire : on se régale des images de Napolitains pris dans la rue sur le vif, à travers les yeux de Katherine, ainsi que des déambulations dans les musées où elle n’est pas indifférente aux impressionnants marbres représentant des nus masculins.
La fin, faux happy end, tire l’histoire vers une morale mystique chère au cinéaste.
Le film fut éreinté par la critique italienne et n’aura pas de succès. Il sera à contrario porté aux nues par la critique française. Jacques Rivette, futur cinéaste, alors critique aux Cahiers du Cinéma, écrivit ainsi : " "Voyage en Italie" ouvre une brèche dans laquelle le cinéma tout entier doit passer, sous peine de mort". Si le jugement un peu radical, il montre tout de même l’impact du film.
- Copyright RKO Pictures
3- La peur ("La paura"), film italo-allemand de Roberto Rosselini (1954). Avec Ingrid Bergman, Mathias Wieman, Renate Mannhardt, Kurt Kreuger et Elise Aulinger.
Sortie initiale : 4 juillet 1956
Une nuit, dans une ville d’Allemagne, une voiture file dans la nuit en traverse plusieurs quartiers. Devant un immeuble où elle se gare, en sort un couple, Irene (Ingrid Bergman) et Erich (Kurt Kreuger) qui se dispute. Elle abandonne l’homme devant sa porte et reprend sa voiture. Plus loin, elle rentre dans un garage devant lequel une femme cachée dans l’ombre (Renate Mannhardt) semble l’attendre.
Cette collaboration Rossellini/Bergman s’éloigne du néoréalisme pour se rapprocher du film noir. Dès les premières images, une ambiance angoissante est installée, avec cette voiture qui file dans la nuit par les rues humides d’une ville moderne. La femme, dont on va suivre le parcours pendant quelques jours, s’enferre dans le mensonge pour masquer un adultère auquel elle veut mettre fin. Celle-ci dirige un laboratoire de recherche, dans lequel son mari fait des expériences sur des animaux. L’action se déroule dans l’Allemagne de l’immédiat après-guerre où la modernité fait la loi. Tout semble lisse, désincarné, avec des immeubles froids, faits de béton et de vitres, des intérieurs impersonnels, des boulevards et des rues qui se ressemblent
Le cinéaste va suivre au plus près le personnage incarné par Ingrid Bergman, effrayée par une femme maître-chanteur, qui peut bouleverser son ordre si bien établi. En un week-end, à l’occasion d’une visite à ses deux jeunes enfants qui vivent ailleurs à la campagne, entourés de plusieurs domestiques, elle va multiplier les maladresses, montrer une fébrilité qui trahit son mal-être. Le mari, bienveillant en apparence, lui fait comprendre qu’il doute à l’occasion d’une leçon de morale prodiguée à sa fille, prise en flagrant délit de mensonge.
Un coup de théâtre renversera l’idée que l’on pouvait avoir de ce couple en crise.
Ingrid Bergman, par son jeu subtil, réussit à faire passer une belle palette d’émotions.
La mise en scène qui scrute le couple en crise, au cœur d’un chantage, dans une ambiance à la Simenon, est aussi un hommage du cinéaste à sa muse Ingrid Bergman, à la veille de la rupture du couple. Lui entamera un nouveau virage cinématographique et elle reprendra sa carrière hollywoodienne.
Test DVD/Bluray
Les éditions Blaq Out proposent, avec ce coffret, trois des cinq films que tourneront ensemble Roberto Rossellini et Ingrid Bergman. Un second coffret intègre l’ensemble avec "Europe 51" (1951) et "Jeanne au bûcher" (1954), sans que ceux-ci ne soient restaurés. Chacun des films est complété à l’identique de trois mêmes bonus : - une courte intervention de Roberto Rossellini, probablement réalisée dans les années 60 pour une diffusion à la télévision française (il s’exprime en français). Il reste très évasif et ce qu’il révèle reste anecdotique ; - une interview contemporaine croisée de Stéphane Roux, historien du cinéma et du propre fils du cinéaste, Renzo Rossellini (qui n’est pas le fils d’Ingrid Bergman) : ils expliquent les modalités des différents projets, du choix des comédiens et du financement, souvent difficile des différents films ; - une analyse détaillée de chaque œuvre contemporaine, elle aussi, par le journaliste Marhieu Macheret, qui détaille le travail du cinéaste, mettant en perspective sa modernité, qui fut souvent incomprise à l’époque des sorties. On comprend aussi que la volonté d’indépendance du réalisateur, son caractère intransigeant et sa relation avec l’actrice hollywoodienne Ingrid Bergman, l’aient marginalisé. On comprend également pourquoi certains lui ont reproché d’avoir tourné le dos au néoréalisme, qui avait fait son succès dans l’immédiat après-guerre. On mesure aujourd’hui la richesse de ces films, nés de la rencontre improbable entre la star, pur produit d’Hollywood et du metteur en scène, qui a su l’amener à un cinéma totalement indépendant.
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