Pièce maîtresse
Le 14 avril 2024
Figure emblématique du cinéma indépendant des années 70, Bob Rafelson signe avec Cinq pièces faciles une œuvre inspirée, iconoclaste, et dont la puissance musicale est portée d’un bout à l’autre par des acteurs magistraux.
- Réalisateur : Bob Rafelson
- Acteurs : Jack Nicholson, Karen Black, Billy Green Bush, Fannie Flagg, Sally Struthers
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Park Circus France, Solaris Distribution
- Durée : 1h38mn
- Reprise: 21 septembre 2016
- Titre original : Five Easy Pieces
- Date de sortie : 14 avril 1971
- Plus d'informations : Le site du distributeur
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Un jeune fils de bonne famille, musicien au grand avenir, a renoncé à sa carrière pour devenir ouvrier et épouser une serveuse de bar. Il retourne au foyer voir son père malade, vit une brève aventure avec la petite amie de son frère et finit par tout abandonner en partant sur la route.
Critique : Le titre renvoie aux pièces musicales qui rythment l’intrigue de ce film résolument moderne par ses choix thématiques et formels, mais peut-être moins ancré dans l’idéal libertaire de la contre-culture qu’on le croit souvent. Même si Bob Rafelson met en scène un personnage marginal (scénario en partie autobiographique), qui a décidé de battre en brèche le modèle familial et de devenir ouvrier spécialisé au lieu de mener une brillante carrière de pianiste, le film n’en montre pas moins toute la difficulté qu’il y a à s’affranchir des attentes de la société - ou d’une microsociété telle que la famille - sans faire l’épreuve douloureuse de la solitude et de l’errance.
Car la vie de Bob n’a franchement rien pour faire rêver : son boulot médiocre l’épuise, ses relations avec Rayette sont tièdement houleuses, et les seuls moments de rigolade posés par le métrage - poker, bowling - le mettent face à l’ampleur de ses échecs - à cet égard, la partie de bowling, où Rayette se ridiculise en multipliant les coups manqués, est un moment d’anthologie.
Cette insatisfaction entraîne une rupture dans le film, d’ailleurs construit en cinq temps et selon un rythme qui ne laisse rien au hasard (vie quotidienne avec Rayette, départ vers le Nord, rencontre avec Catherine, retrouvailles avec le père, puis retour). Notre personnage décide en effet d’entamer un voyage pour rejoindre sa famille qui semble l’attendre depuis toujours - après tout, les quêtes paternelles ne datent pas d’hier : voir Télémaque et Ulysse, auxquels le film fait parfois songer par son désir de renouer avec un passé quasiment immémorial (par exemple dans la scène des portraits). Toute l’intrigue repose alors sur la figure paradoxale du père, incapable de communiquer à cause d’un accident cérébral, sinon par de vagues mimiques, mais d’autant plus bouleversant lorsqu’il assiste à l’aveu impuissant de son fils. Ce faisant, Five Easy Pieces est aussi millimétré et apparemment désinvolte que peut l’être une improvisation musicale : il met en scène un personnage complexe, dont l’idéal libertaire ne vient pas répondre de façon schématique à une soif de jouissance ou à un rejet égoïste des conventions familiales, mais trouve écho dans une révolte secrète, moins propice à l’hédonisme qu’à la solitude contemplative.
Du reste, la fin du film ne permettra guère de trancher et de savoir si le nouveau départ de Bob doit être vécu comme une issue positive ou un signe de faiblesse : ce n’est peut-être pas à nous d’en juger. Pendant 1h38, le spectateur s’est embarqué comme lui dans une histoire loufoque, émouvante et souvent très drôle, qui doit beaucoup aux performances magistrales de Nicholson, Karen Black ou même, des personnages secondaires, telle cette hippie aux obsessions hygiénistes croisée sur la route, et qui jure après toute les "saloperies" de la vie moderne. Et bien sûr, au cœur de ce dispositif musical d’une étonnante complexité, non seulement la musique-même, mais la voix des acteurs et leur inégalable puissance - celle d’un cinéma bien plus que "moderne", d’une intemporelle beauté, et qui n’a pas fini de questionner notre lien au conformisme et aux origines.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.