Littérature
Le 22 mai 2002
Un roman qui bouscule, ébranle, fait plonger dans ce qu’il y a de plus obscurément malsain et sombre dans l’humain.


- Auteur : Toni Davidson
- Editeur : Au diable vauvert
- Genre : Thriller, Roman & fiction
- Nationalité : Anglaise

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Après avoir édité une anthologie intitulée Intoxication, l’écriture sous stupéfiants en janvier dernier, le Diable Vauvert nous révèle le premier roman de l’Ecossais Toni Davidson, Cicatrices, élevé par une presse britannique époustouflée au rang de livre-culte et comparé au précédent succès écossais, le Trainspotting d’Irvine Welsh.
Certes comparables dans la troublante qualité d’une écriture elliptique et hypnotisante, qui inocule le réel à coup d’injections successives, épuisantes en même temps que salvatrices.
Certes comparables dans l’évocation d’univers « glauquissimes », de chutes irrévocables mais non figées, la lecture déclenchant le mouvement de cette chute, que l’on espère enrayer à chaque page mais que l’on ne peut, spectateur prisonnier, étouffé mais jamais voyeur, qu’impuissamment accompagner.
Mais alors que Trainspotting pourrait être considéré comme l’œuvre d’une génération, Cicatrices, par les épisodes de névroses en construction qu’il relate, explose les limites temporelles, de même que l’enracinement géographique, que le roman d’Irvine Welsh cultive avec succès.
Les cicatrices, ce sont celles qui s’impriment à jamais sur le corps de Click qui prend des photos à l’Instamatic de son père Panic et de sa mère Exit, dans la caravane déglinguée qui leur tient lieu de foyer, où règnent l’irrationnel, les cris, la fureur. Ce sont aussi celles de Fright, torturé par son père au sadisme suggéré, mais dont les traces psychologiques sur l’enfant sont de plus tangibles témoignages que toute description. Car c’est aussi là la force du roman de Davidson : pas d’épanchement complice avec l’horreur de la violence familiale, pas de lourdeur pathétique dans la douleur de Click, de Fright et puis de Sad et ses visions fantasmatiques mais seulement des récits de vie, des expériences de violences sexuelles brutes, sans regard moralisateur et donc forcément réactionnaire.
Des souffrances simplement devinables mais jamais dévoilées, parce que finalement, comment exprimer l’indicible ?
Même les stratagèmes du docteur Sad sur ses patients et sa tentative d’expérimentation de thérapie par le milieu ne parviennent pas à leur rendre la parole. Au moins permettent-ils de faire coïncider des souffrances, mais non de les partager, encore moins de les dire.
Cicatrices nous bouscule, nous ébranle, nous fait plonger dans ce qu’il y a de plus obscurément malsain et sombre dans l’humain. Davidson réussit le pari risqué de renouveler cette thématique, usant de la douce froideur de la technique du témoignage, avec une économie de moyens efficace et maîtrisée, digne des chefs-d’œuvre de la littérature noire.
Toni Davidson, Cicatrices (traduit de l’anglais par Daniel Lemoine), Au Diable Vauvert, 2002, 327 pages, 14,50 €