Le 22 octobre 2024
Quand le cinéma se joue des genres entre le documentaire et la fiction, surgit une critique acerbe contre la manière dont le gouvernement chinois a traité la question de la Covid-19 à Wuhan, sous couvert d’un tournage avorté il y a plus de dix ans.
- Réalisateur : Lou Ye
- Acteurs : Hao Qin, Huang Xuan, Qi Xi, Zhang Songwen, Liang Ming
- Genre : Comédie dramatique, LGBTQIA+
- Nationalité : Allemand, Chinois, Singapourien
- Distributeur : Bac Films
- Durée : 1h46mn
- Titre original : An Unfinished Film
- Date de sortie : 23 octobre 2024
- Festival : Festival de Cannes 2024
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– Festival de Cannes 2024 : Sélection officielle, Hors compétition, séance spéciale
Résumé : Janvier 2020. Une équipe de tournage se réunit dans un hôtel près de Wuhan pour reprendre la production d’un film interrompu dix ans plus tôt. Mais un événement inattendu vient à nouveau contrarier les préparatifs et l’équipe est confinée avec leurs écrans comme seul contact avec le monde extérieur.
Critique : Quel rapport entre la crise Covid et un film sur l’homosexualité commencé il y a dix ans et inachevé, faute de financements ? À priori aucun, si ce n’est que le réalisateur, Lou Ye, qui joue son propre rôle, resurgit d’un vieil ordinateur un long-métrage de jeunesse jamais terminé où il était question d’aventures amoureuses entre des jeunes gens chinois. L’occasion est trop bonne de proposer à l’équipe de l’époque de reprendre le projet, même si l’acteur principal prévient que l’idée est un peu saugrenue, car la censure devrait empêcher de voir le film sortir sur les écrans. Malgré l’avertissement, l’équipe, conduite par Lou Ye, décide de boucler le film inachevé. Sauf que l’hôtel qu’ils ont réservé pour ce faire, à Wuhan, se retrouve confiné, privant les techniciens et les comédiens de rejoindre leurs proches, et par là même de boucler le tournage.
Chroniques chinoises perd un peu le spectateur, là où le titre original, An Unfinished Film était beaucoup plus explicite dans ses intentions. Le début est très surprenant, le spectateur se disant immédiatement qu’il a à faire à un documentaire qui traitera la complexité pour des films à exister en Chine, particulièrement lorsqu’ils traitent de questions sociétales comme l’homosexualité. Mais la Covid-19 prend très vite le pas sur le projet de bouclage du film et l’ensemble de l’équipe se retrouve enfermée dans l’hôtel, ne bénéficiant que de téléphones portables pour garder un lien avec l’extérieur. Une attention plus importante est accordée au comédien censé reprendre le rôle d’il y a dix ans, puisque la caméra s’installe presque définitivement à ses côtés. On le voit ainsi converser avec sa femme, ses collègues, se désespérer et observer le drame qui se joue en bas de sa fenêtre, quand lui-même n’est pas confronté à la virulence des forces de l’ordre qui tentent de contenir la population confinée à domicile.
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Très vite, le film vient questionner la manière dont les autorités chinoises ont géré cette pandémie incroyable. Comme dans tout régime sévère, on perçoit deux réalités : celle du discours officiel, dur, oppressant, et celle du peuple chinois qui tente de recouvrir la liberté perdue. Des situations d’horreur sont mises en scène comme celle d’une petite fille qui court après l’ambulance emportant sa mère, laquelle décèdera à l’hôpital, sauf qu’aucune assistance n’aura été apportée à l’enfant par le gouvernement. D’autres se succèdent comme des crises de panique de la population qui tranchent avec des fêtes solitaires derrière l’ordinateur pour le Nouvel an chinois. Lou Ye réalise un tour de maître en mêlant avec autant de subtilité la fiction et le documentaire, au point de brouiller les lignes de démarcation entre les deux. L’histoire que jouent les comédiens devient aussi réelle que celle qui s’est passée pour les millions de Chinois, contraints de ne pas quitter leur domicile pendant plusieurs mois.
Lou Ye joue à sa manière avec la censure chinoise en focalisant l’attention sur ce film qui n’aurait jamais été fini. En vérité, la véritable mise en cause est portée contre le gouvernement qui a restreint les libertés individuelles et publiques de manière drastique bien que l’on perçoive rapidement la capacité d’un peuple à identifier des marges de liberté malgré l’oppression policière. En ce sens, le film lui-même flirte avec la transgression et le droit à l’expression, mettant le réalisateur dans une situation personnelle assez périlleuse vis-à-vis des autorités de son pays. On ressort absolument admiratif de la capacité du cinéma à jouer avec les règles et le cadre, tout en permettant au plus grand nombre de prendre la mesure de la réalité gouvernementale chinoise. Un grand film tout simplement.
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