Littérature
Le 13 mars 2002
Brillante analyse sur la prétendue dichotomie entre Islam et Occident.

- Auteur : Gilles Kepel
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française

L'a lu
Veut le lire
Si l’on cherche à sortir intelligemment du manichéisme primaire dans lequel un Georges W. Bush, un Oussama Ben Laden et une cohorte de journalistes se sentant tous plus Américains les uns que les autres, ont enfermé le monde depuis le 11 septembre dernier, on pourra lire la discrète mais non moins brillante analyse de Gilles Kepel sur le sujet, en l’occurrence la prétendue dichotomie entre Islam (voire islamisme) et Occident.
En fait d’analyse, il s’agit plutôt de celles d’interlocuteurs que Kepel, professeur des Universités à Sciences-Po Paris et chercheur français incontournable sur le monde musulman, est allé recueillir entre octobre et novembre 2001 directement à la source, en Egypte, en Syrie, au Liban, au Qatar, à Doubaï, etc. Là-bas, dans ces pays qu’il a maintes fois sillonnés pour ses travaux, il rencontre des étudiants, des professeurs, des responsables politiques et religieux, des fondamentalistes, et jour après jour, il dévoile toutes les contradictions portées par la population musulmane où la potentielle popularité de Ben Laden s’entrechoque avec l’inéluctable tentation de fuir ces sociétés où règnent les inégalités, la misère, le chômage, le non-respect des libertés. "C’est une relation curieuse avec l’Amérique - et avec l’Occident en général - qui s’est construite dans notre univers globalisé : la défiance proclamée se combine avec une très forte attirance, le rejet du modèle avec l’admiration pour la démocratie dont la plupart des sociétés du monde musulman restent toujours privées, la revendication de la spécificité culturelle avec un désir de reconnaissance et l’envie irrépressible de participer, sur un pied d’égalité, à la culture universelle" (p.19).
Kepel souligne la charge émotionnelle (qui touche les plus farouches militants comme les jeunes étudiantes en jeans et non voilées) dégagée par Ben Laden lors de ses apparitions télévisées, dont les discours vengeurs autorisent les condamnations en bloc des bombardements américains en Afghanistan, de l’embargo contre l’Irak, de l’écrasement des Palestiniens par les chars israéliens (cf. p.30-32 et p.65-67 le récit des rencontres avec des étudiants). Mais il montre aussi que les responsables religieux n’accordent que peu de légitimité à un homme dont l’action pourrait à tout moment précipiter le déclin de l’islamisme et se retourner contre les Musulmans. (cf. notamment les rendez-vous de Kepel avec Issam al Aryam, représentant des Frères musulmans, p.20-22 et avec le cheick Qardhawi, p.70-78).
Chronique d’une guerre d’Orient, c’est certes une contribution écrite "à chaud" mais via le prisme de la juste rigueur de celui qui connaît et analyse son sujet et son terrain. C’est aussi le journal d’aller et retour entre Paris et les capitales du Moyen-Orient, qui nous invite au concert de Cheb Mami à Doubaï et distille pour nous les parfums de l’Egypte "qui déroule ses saisons selon un calendrier olfactif et intime mêlé de toute éternité à l’étiage et la crue du Nil" (p.11).
Gilles Kepel, Chronique d’une guerre d’Orient (automne 2001), Gallimard, 2002, 131 pages, 13,00 €
Bibliographie indicative de Gilles Kepel :
– Jihad : Expansion et déclin de l’islamisme, Gallimard, 2000, 452 pages
– A l’Ouest d’Allah, Le Seuil, 1994, 333 pages
– Le Prophète et Pharaon : Aux sources des mouvements islamistes, Le Seuil, 1993, 311 pages
– La Revanche de Dieu, Le Seuil, 1991, 282 pages
– Les banlieues de l’islam : naissance d’une religion en France, Le Seuil, Points Actuels, 1991, 425 pages