Le 18 novembre 2004
Au commencement, il y avait un petit article écrit rapidement, sous le coup de l’émotion, juste après avoir refermé Carême, pour le plaisir de prolonger la douce atmosphère de ce bel album... Un petit article que Christophe Bec avait eu la gentillesse d’évoquer sur son site. Preuve que le monsieur est aussi sympathique que son récit est attachant. Après bien des délais et étourderies de ma part, il a bien voulu me recevoir, preuve qu’il n’est pas non plus rancunier !
Scénariste et dessinateur, Christophe Bec aime les personnages sur le fil du rasoir. Notre interview.
Pour commencer, j’aimerais vous parler de Carême, puisqu’il s’agit de votre actualité. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer au scénario ?
En fait, j’ai toujours écrit. Depuis tout gamin je fais des scénarios de bande dessinée. J’ai d’abord été publié en tant que dessinateur mais, dès que l’opportunité s’est présentée, je l’ai saisie.
Ça ne doit pas être facile de travailler avec un autre dessinateur quand on dessine soi-même... Comment se fait la répartition du travail avec Paolo Mottura ?
Je fais très attention à ce qu’il n’y ait pas d’empiètement, et c’est la raison pour laquelle nous ne faisons pas de story-board. Je fais à Paolo un découpage très précis, puis il m’envoie les crayonnés pour que je lui donne mon avis. Mais mes remarques concernent principalement l’aspect narratif, je ne me permets pas d’intervenir sur son travail. C’est facile avec Paolo car son style est très différent du mien, je ne pourrais sans doute pas respecter aussi bien cette répartition des tâches avec quelqu’un dont le style serait très proche du mien.
N’avez-vous pas envie de réaliser un album dans son entier ?
Si, un jour bien sûr. J’ai même un projet, mais je suis sur tellement de travaux en ce moment que j’ai dû le reporter à quelques années... Ça devrait s’appeler Le Temps des Loups. Une histoire post-apocalyptique où les loups-garous reprennent le territoire que les hommes leur ont volé. Un récit écologique teinté de fantastique. Des thèmes qui me sont chers.
Oui, on retrouve cela dans Carême. Cette bande dessinée traite de la haine et de la peur de l’autre, dans une atmosphère de conte, et selon un point de vue très humain, alors que d’autres auraient choisi un angle plus politique. Je trouve cette vision "humaine" des choses très émouvante, et j’aurais aimé savoir comment vous construisez vos scénarios et imaginez vos personnages...
Tout d’abord, quand je crée des personnages, j’essaie de ne pas les juger. Ce sont les personnages qui décident du récit, et non l’inverse. Ils décident et moi je subis. Ça peut paraître étrange, mais je n’arrive pas à les forcer à aller dans une direction qui ne leur convient pas. A cause de cela, j’ai même du ré-écrire une partie du tome 2 de Carême. En fait, ça m’est très difficile de parler de Carême parce que ce n’est pas un travail intellectuel, c’est très basé sur l’intuition. Je n’ai pas de grandes théories sur la narration, je me laisse porter par l’inspiration sans me poser trop de questions, l’analyse viendra rétrospectivement. J’ai du mal avec les scénarios à tiroir, je serais incapable d’écrire un polar. Le truc, c’est qu’il faut toujours qu’il y ait un petit quelque chose qui rende le propos intéressant. Et puis, il faut faire passer l’émotion sans tomber dans le sentimentalisme. Dans le tome 2 de Carême, je vais dévoiler les fêlures du personnage... Je parlerai même d’amour puisque Martinien va rencontrer une jeune fille. J’aime les personnages sur le fil du rasoir. Mais on peut traiter de ces choses sans être mielleux.
Dans Sanctuaire, la série de Xavier Dorison que vous mettez en images, vos personnages sont inspirés d’acteurs existants. Comment s’est déroulé le casting ?
Ça a été différent pour chaque personnage. Au départ, c’était une idée de Xavier. Sanctuaire est très cinématographique et il voyait bien Scott Glenn pour le commandant Hamish. A partir de là, je lui ai proposé de choisir également des acteurs pour les autres personnages. Mais il n’y avait pas de casting pré-établi. On ne s’est pas dit "Tiens, on aime bien Johnny Depp donc on va le faire apparaître". On a choisi des acteurs qui collaient aux personnages. Et si aucun acteur ne s’imposait pour un protagoniste, on faisait autrement. C’est la raison pour laquelle, parmi la quinzaine d’acteurs de Sanctuaire, il n’y a pas que des stars mais aussi quelques comédiens moins connus.
A ce propos, il était question d’une adaptation cinématographique de Sanctuaire, Sanctum. C’est toujours d’actualité ?
Toujours, mais la situation est assez opaque. Une société de production américaine avait pris une option dessus et écrit un scénario mais, entre-temps, est sorti le film Alien vs Predator, dont le script avait beaucoup de points communs avec cette première version. Du coup, tout est en cours de réécriture. La seconde version devrait d’ailleurs être plus proche de la bande dessinée, car ils avaient éludé toute la partie qui se déroule dans le sous-marin sous prétexte que les derniers films de sous-marins hollywoodiens avaient été des échecs. C’est peut être un mal pour un bien.
Sur votre site, vous présentez des sérigraphies, des cartes postales, et des illustrations que vous avez réalisées, notamment en hommage à Brassens. Est-ce une direction dans laquelle vous souhaiteriez orienter votre carrière ?
Non, c’est un à-côté. J’ai peu de temps à consacrer à ce style d’illustration. Je fais ça juste pour m’évader de temps en temps, sur proposition...
A propos d’illustration, vous parlez sur le forum bdgest de "largowinchiser" votre dessin... Qu’entendez-vous par là ? Et pourquoi le désir d’une telle évolution ?
Je ne me souviens plus avoir dit ça mais je crois savoir pourquoi je l’ai dit. En fait, sur Sanctuaire, on s’est plaint d’avoir parfois du mal à identifier mes personnages. C’est une difficulté du dessin réaliste : moi, quand un de mes personnages s’est pris la pluie, je lui fais des cheveux mouillés, et ça modifie un peu son apparence. Largo, lui, qu’il pleuve ou qu’il vente, il a toujours un brushing impeccable ! Je ne souhaite pas changer de style mais j’ai réalisé qu’il fallait une certaine éducation pour identifier les subtilités d’un dessin réaliste. Dans ma prochaine série, Bunker, j’aurais plus recours aux "codes". Par exemple, mon héros aura les cheveux tout blancs.
J’ai vu que vous étiez un grand cinéphile... Avez-vous un film à recommander à nos lecteurs ?
Vous n’avez pas de chance j’ai décroché du cinéma depuis un an... Le dernier bon film que j’ai vu est un film des années 90, Tesis, d’Amenabar.
Eh bien je vous remercie pour toutes ces informations... Avant de terminer, si je peux me faire messagère, y a-t-il des questions que vous ne voudriez plus qu’on vous pose ?
Ah oui ! J’aimerais bien qu’on cesse de me demander si je compte faire une suite à Sanctuaire... Ou si je vais retravailler avec Xavier Dorison... Mais ça va, vous ne me les avez pas posées celles-ci...
Ouf !
Propos recueillis en novembre 2004
Pour en savoir plus, visitez le site de Christophe Bec
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