L’art du merle chanteur
Le 17 décembre 2023
Otar Iosseliani retrouve avec bonheur la veine de ses premiers films géorgiens dans ce conte délicieux où la bouffonnerie en demi-teinte cède inopinément la place à l’émotion.
- Réalisateur : Otar Iosseliani
- Acteurs : Bulle Ogier, Pierre Étaix, Dato Tarielashvili
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 2h02mn
- Date de sortie : 22 septembre 2010
- Festival : Festival de Cannes 2010
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Résumé : Nicolas est un artiste, un cinéaste qui ne demande rien tant que de pouvoir s’exprimer en toute liberté. Une liberté source de bien des problèmes... Dès ses débuts en Géorgie, les "idéologues" veulent le réduire au silence, considérant que son œuvre n’est pas conforme aux règles en vigueur. Face à leur détermination, Nicolas quitte son pays d’origine pour la France - terre de liberté et de démocratie. Mais "L’état de grâce" sera de courte durée...
Critique : Otar Iosseliani récuse le qualificatif d’autobiographique qu’on serait tenté d’appliquer à son nouvel opus, tout en reconnaissant y avoir mis nombre d’éléments vécus. Il est vrai qu’en dépit des apparences, le destin de Nicolas, le protagoniste de Chantrapas, est assez différent du sien.
En effet, si le cinéaste géorgien eut souvent maille à partir avec la censure soviétique, (Pastorale, tourné en 1975, ne fut pas distribué et attendra cinq ans avant d’être présenté au Festival de Berlin), il parvint tout de même à tourner dans son pays natal quinze films (dont trois longs-métrages) totalement libres et personnels à partir de 1959. Et les tracas que rencontre son personnage lorsqu’il réussit enfin à travailler en France semblent lui avoir été épargnés également. Les douze films (dont huit longs) réalisés depuis 1982 en témoignent.
On est en droit de penser néanmoins que ce Nicolas, auquel Dato Tarielashvili prête une allure à la fois rêveuse et déterminée, est, à plus d’un égard, un portrait de l’artiste en jeune chantrapas, c’est à dire en bon à rien exclu de systèmes dont il ne saurait respecter les règles, à l’Est comme à l’Ouest, et néanmoins assez futé pour retourner à son avantage certaines situations délicates, par exemple en soudoyant un apparatchik à l’aide d’une bouteille de vin.
Les représentants du pouvoir, qu’il soit celui de l’État (l’ambassadeur de Bogdan Stupka, impayable) ou celui de l’argent (jolie composition de Pierre tÉaix en producteur cauteleux) sont d’ailleurs caricaturés sans méchanceté comme autant de clowns tristes, au bout du compte plus pitoyables qu’effrayants, et une délicieuse bouffonnerie en demi-teinte caractérise la suite de saynètes qui composent la trame nonchalante de ce conte aux allures de doux et joyeux foutoir où aucune ligne de partage ne sépare le passé du présent, pas plus que le réel de l’imaginaire.
Cet humour se teinte de nostalgie dans toutes les scènes consacrées au milieu familial du protagoniste, composées comme autant de témoignages fragiles d’un art de vivre révolu. Le merveilleux personnage du grand-père (Givi Sarchimelidze) incarne plus que les autres cet héritage précieux et que nous savons déjà perdu. Le moment où Nicolas pose sa main sur celle du vieillard tourné dos au mur sur son canapé en marque d’affection est un grand instant d’émotion qui arrive sans crier gare et sans être souligné.
Car c’est dans le refus de l’intimidation et de la surenchère affective que l’art subtil de Iosseliani trouve ici une de ses plus heureuses expressions, renouant avec le ton inimitable et le charme puissant de ses premiers films.
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