Le 14 octobre 2012
Décentrer la tragédie, de la scène à la prison : telle est l’ambition de César doit mourir, essai entre documentaire et fiction signé par les frères Taviani. Un film de dispositif, ours d’or à la Berlinale de 2012.
- Réalisateurs : Paolo Taviani - Vittorio Taviani
- Acteurs : Cosimo Rega, Salvatore Striano, Giovanni Arcuri
- Genre : Drame
- Nationalité : Italien
- Distributeur : Bellissima Films
- Durée : 1h17mn
- Box-office : 52.584 entrées France / 21.137 entrées P.P.
- Titre original : Cesare deve morire
- Date de sortie : 17 octobre 2012
- Festival : Festival de Berlin 2012
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Résumé : Théâtre de la prison de Rebibbia. La représentation de « Jules César » de Shakespeare s’achève sous les applaudissements. Les lumières s’éteignent sur les acteurs redevenus des détenus. Ils sont escortés et enfermés dans leur cellule. Mais qui sont ces acteurs d’un jour ? Pour quelle faute ont-ils été condamnés et comment ont-ils vécu cette expérience de création artistique en commun ? Inquiétudes, jeu, espérances... Le film suit l’élaboration de la pièce, depuis les essais et la découverte du texte, jusqu’à la représentation finale. De retour dans sa cellule, « Cassius », prisonnier depuis de nombreuses années, cherche du regard la caméra et nous dit : « Depuis que j’ai connu l’art, cette cellule est devenue une prison ».
Critique : Lorgnant à travers les barreaux d’une cellule, deux hommes, Brutus et Cassius, commentent une scène dont ils sont les témoins. En dialecte napolitain, Brutus s’inquiète du devenir de Rome – une Rome dissimulée à notre regard, mais qu’on s’imagine mesquine et grouillante. Les deux hommes s’écartent de la fenêtre pour réfléchir. La scène s’interrompt, le metteur en scène intervient. César doit mourir joue constamment l’articulation entre prison, vie de la fiction et travail théâtral ; sans solution de continuité, nous passons de la scène au corridor, de la même manière que les acteurs-détenus insèrent le texte de Shakespeare dans le cercle de leur enfermement. La répétition théâtrale prend peu à peu le pas sur la répétition morne du quotidien carcéral, de sorte que ces espaces dépourvus de but, au sein desquels évoluent les détenus – cellule, promenade claustrophobique, couloirs de passage – regagnent un sens, à la fois spatial et symbolique. Et pourtant, en transformant de cette manière les lieux traversés quotidiennement par les prisonniers, le texte de Shakespeare en dévoile le caractère nu, médiocre et finalement insupportable. Assurément, le film des frères Taviani ne tranche jamais réellement l’ambivalence qui s’attache à ce supplément d’imagination dont se voit revêtu l’espace de la prison : la conclusion apportée par Cassius – « Depuis que j’ai connu l’art, cette cellule est devenue une prison » – récuse l’optimisme béat que serions tentés d’attacher au projet même du théâtre en prison.
Ni complètement documentaire, ni ouvertement fictionnel, César doit mourir se donne comme un objet dont le spectateur s’approprie aisément la forme, même si certains choix esthétiques – le passage de la couleur au noir et blanc – relèvent davantage du postulat théorique que d’une réelle motivation intrinsèque au film. La faiblesse du film consiste peut-être à ne pas avoir suffisamment creusé cette béance qui s’ouvrait au sein de son dispositif, à savoir la contradiction possible entre la « libération » amenée par la pratique du théâtre en milieu carcéral, et la souffrance provoquée par l’impossibilité d’une libération effective. Le thème est esquissé, incarné avec plus de force dans certains personnages, mais il se dilue parfois dans la simple fascination envers le dispositif, de sorte que César doit mourir s’apparenterait davantage à une installation que l’on pourrait parcourir en en faisant une expérience « transversale », qu’à une progression narrative – la persistance de la dimension chronologique de la pièce de Shakespeare venant parfois alourdir le mouvement général. C’est d’ailleurs également l’objectif des spectateurs – réels et supposément réels – de Jules César à l’intérieur de la prison de Rebibbia : ils viennent assister à un agencement, aussi bien qu’au résultat de cet agencement. De l’expérience théâtrale, le jeu des acteurs-détenus se fait « expérience » au sens propre – où cela va-t-il les mener ? On regrette que certains des fils apportant des propositions de réponse à cette question soient dépliés, puis abandonnés par les frères Taviani. Le personnage de Brutus, incarné par Salvatore Striano, ancien détenu déjà vu dans Gomorra, demeure l’un de ceux qui prolongent avec le plus de ténacité l’interrogation douloureuse sur le besoin de liberté et l’échappatoire des mots. La question restera ouverte.
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