Balance ton islamiste
Le 14 février 2019
L’actualité tragique réduite à une approche consensuelle et artificielle où l’auteur sort mécaniquement les violons afin de susciter l’émotion. Pas certain qu’une telle emphase soit le meilleur hommage à offrir aux victimes de barbarie.
- Réalisateur : Eva Husson
- Acteurs : Golshifteh Farahani, Emmanuelle Bercot, Zübeyde Bulut, Maia Shamoevi, Evin Ahmadguli
- Genre : Drame, Film de guerre
- Nationalité : Français
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 1h55mn
- Box-office : 30.798 entrées France / 8.068 entrées P.P.
- Date de sortie : 21 novembre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018
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Résumé : Quelque part au Kurdistan. Bahar, commandante des Filles du Soleil, bataillon composé de femmes soldates kurdes, est sur le point de reprendre la ville où elle avait été capturée par les extrémistes quelques mois auparavant. Mathilde, journaliste française, couvre les trois premiers jours de l’offensive. La rencontre entre les deux femmes fait remonter à la surface le parcours de Bahar depuis que les hommes en noir ont fait irruption dans sa vie.
Critique : La rencontre entre Bahar (Golshifteh Farahani) et Mathilde (Emmanuelle Bercot) nous laissait espérer d’en savoir un peu plus sur le combat au quotidien des soldates kurdes luttant, entre la Syrie, l’Irak et la Turquie, contre nos ennemis communs, les Islamistes de Daesh. Ces femmes-courage, dont nos autorités dénigrent jusqu’à l’existence du peuple, méritaient qu’un film leur soit consacré. Le scénario d’Eva Husson s’attache en particulier au personnage d’une journaliste française identifiable à son cache-œil, en référence à la reporter américaine Marie Colvin, morte en Syrie en 2012, un personnage auquel les spectateurs n’auront guère de mal à s’identifier dans le pathos qui est construit autour de sa psychologie. Il est ainsi souligné à plusieurs reprises qu’elle a récemment perdu son mari. Une première ficelle d’écriture criarde qui réduit le personnage de Mathilde à un archétype convenu, qui nous met en garde sur la tendance à la mélodramatisation du film, qui va effectivement plomber la suite.
- © Maneki Films – Photo : Khatia (Juda) Psuturi
La caractérisation du personnage de Golshifteh Farahani n’est pas mieux. Habituellement convaincante, l’actrice en est réduite à livrer ici une prestation en demi-teinte. Ses instants de jeu non dialogués sont assurément les moments où, à la seule force de son regard profond, elle fait preuve du plus d’intensité, mais la volonté d’expliciter les horreurs met l’actrice et le film en péril. Le lourd passé chargé en traumatismes de son personnage, que l’on peut ressentir dans ces quelques instants de non-dits soutenus, n’avait pas besoin d’être illustré par un flashback démonstratif. Et pourtant, c’est exactement dans cette brèche pompeuse que s’engouffre Husson, allant jusqu’à accorder à cet arc narratif plus de la moitié de la durée de son long-métrage. Elle ne nous y épargne aucun effet tire-larmes : Bahar va, tour à tour, voir son mari tué, son fils enlevé, sa sœur violée avant de se suicider... Cette surenchère va même réussir à court-circuiter le suspense dans la scène de l’évasion, pourtant la plus élaborée de cette partie.
L’autre partie du scénario s’assimile davantage à un film de guerre traditionnel. Les quelques scènes passées aux côtés de la brigade féminine ne nous permettent d’en apprendre que très peu de leur quotidien (leur hymne... c’est à peu près tout) ; les moments des échanges des coups de feu avec les hommes en noir profitent d’un découpage fluide mais manquent de souffle spectaculaire. Ce que le film offre de plus réussi est en fin en compte la beauté de ses décors, captés dans les montagnes de Géorgie tandis que l’évocation du combat des héroïnes se limite à l’enjeu unique d’assouvir un désir de vengeance, celui de femmes outragées. La réalisatrice semble même s’interdire de contextualiser son récit. Les implications géopolitiques lui importent bien moins que la volonté de Bahar de retrouver son fils... un enjeu qu’elle va clore dans un happy-end si poussif qu’il fait s’écrouler l’argument « écriture documentée » qui était ce qui garantissait jusque-là la légitimité de ce long-métrage.
- © Maneki Films – Photo : Eva Husson
N’en reste que le discours féministe, lourdement asséné par le monologue final, qui pose ce long-métrage consensuel dans l’air du temps, ce qui semble avoir justifié sa présence dans la Selection Officielle de cette édition du Festival de Cannes. Un an plus tôt lui aurait-on déroulé le tapis rouge et ouvert les portes du Palais des festivals ? Pas si sûr, quoique, Sean Penn avait bien commis un The Last Face tout aussi pathétique et connu pareillement les honneurs de la Sélection.
Attendons donc le film qui saura rendre un meilleur hommage aux combattantes kurdes. Le devoir de mémoire et le temps qui commence à passer permettront aux langues de se délier et aux caméras de tourner, pour le meilleur cette fois-ci.
- Edition DVD : Wild Side
– En téléchargement définitif dès le 1er Mars 2019
– En DVD & VOD : le 8 Mars 2019
- Design : Benjamin Seznec / Troïka Crédit logo : Cizo
Galerie Photos
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