Thriller philosophique
Le 25 octobre 2024
Un beau cauchemar et un très grand film, opaque et terrible, sur les angoisses humaines et les maux de la société actuelle.
- Réalisateur : Michael Haneke
- Acteurs : Maurice Bénichou, Daniel Auteuil, Juliette Binoche, Bernard Le Coq, Aïssa Maïga, Annie Girardot, Walid Afkir
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films du Losange
- Editeur vidéo : Gaumont/Columbia/Tristar Home Video, Opening
- Durée : 1h57mn
- Date télé : 20 mars 2022 21:00
- Chaîne : Arte
- Reprise: 30 octobre 2024
- Date de sortie : 5 octobre 2005
- Festival : Festival de Cannes 2005, Sélection officielle Cannes 2005
Résumé : Georges, journaliste littéraire, reçoit des vidéos - filmées clandestinement depuis la rue - où on le voit avec sa famille, ainsi que des dessins inquiétants et difficiles à interpréter. Il n’a aucune idée de l’identité de l’expéditeur. Peu à peu, le contenu des cassettes devient plus personnel, ce qui laisse soupçonner que l’expéditeur connaît Georges depuis longtemps. Ce dernier sent qu’une menace pèse sur lui et sur sa famille, mais comme cette menace n’est pas explicite, la police lui refuse son aide...
Critique : Deux ans après son très mésestimé Temps du loup, qui n’avait pas à rougir de ses comparaisons avec Tarkovski et Bergman, le cinéaste autrichien Michael Haneke revient torturer ses ouailles avec Caché, un film qui, en surface, ressemble à un thriller classique mais qui, au gré de ses bobines, creuse en profondeur et autopsie des angoisses humaines très actuelles. L’argument initial (une cassette vidéo envoyée à un présentateur télé) évoque Lost Highway de David Lynch avec ce qu’il faut d’étrangeté latente, d’angoisse sourde et de climat ténébreux. Par chance, le filon est excellemment exploité et n’emprunte pas des chemins maintes fois empruntés. Dans Caché, comme dans Code inconnu, Haneke suggère la peur, le trouble en plongeant ses protagonistes dans l’obscurité ; en les montrant de dos pendant une bonne partie du métrage ; en les emmenant dans des zones inconnues. Et cette peur de l’inconnu est ici impeccablement retranscrite. À tel point que Haneke signe là l’un de ses opus majeurs.
- Copyright Les Films du Losange
En brouillant élégamment les cartes du suspense (qui est menacé ? qui joue avec qui ? qui est qui ?) ; en cernant les affects de personnages qui simulent le sourire alors que rien ne fonctionne à l’intérieur ; en confrontant des mondes distincts, Haneke en dit long sur la société comme elle va (mal) sans nécessairement - et cela risque de réjouir les détracteurs usuels du cinéaste - céder à la dissertation filmique, sans tomber dans le manichéisme de bas étage. Alors que La pianiste pouvait être vu comme une auscultation d’une Autriche (f)rigide, personnalisée par le personnage d’Erika (Isabelle Huppert), Caché dessine en creux un portrait de la France et de ses maux : la peur de l’étranger, de l’autre, avec une bonne louche de culpabilité. Quand les fantômes inavouables du passé s’incrustent dans un présent insouciant et bourgeois.
- Copyright Les Films du Losange
Sans en dire trop, le film, opaque et terrible, fonctionne comme un mystère dont le cinéaste ne délivre les clefs que progressivement. S’il n’est guère dépourvu de la cruauté inhérente au cinéma d’Haneke (avec une scène centrale traumatisante), Caché, chargé en suspense mais exempt du surplomb moralisateur usuel chez Haneke, n’en demeure pas moins l’opus le plus accessible, le plus dense, le plus humain d’un réalisateur passionné par la manipulation des images et la banalisation de la violence. La mise en scène, très impressionnante, met en valeur un scénario complexe qui manie l’ambiguïté et le frisson jusqu’au bout de sa pellicule et recèle des abîmes existentiels intenses et profonds. Pour citer Hemingway, "ce fut un beau cauchemar". C’est surtout un grand film qui hante gravement après la projection.
Le DVD
Le(s) supplément(s) à ne pas rater : Une édition double DVD à la hauteur du film, contenant des bonus extrêmement intéressants sur la méthode Haneke. Cela souligne d’ailleurs un curieux paradoxe : avide de secrets au cinéma, le réalisateur autrichien dévoile ici sans retenue les arcanes de son travail. En ce sens, le making of livre de nombreuses explications sur les modes de fonctionnement de son cinéma. Sa productrice, ses acteurs évoquent leur relation avec le cinéaste ; lui-même ouvre les portes de ses névroses (Il n’y a pas une vérité, il y a mille vérités, c’est une question de point de vue). Suit un entretien avec Serge Toubiana durant lequel les deux hommes reviennent sur Caché et ses différents thèmes : la culpabilité, la politique française, le couple et son fonctionnement interne, la morale, les souvenirs, la froideur, la manipulation du spectateur, la vérité toujours cachée et enfin le fameux dernier plan qui a suscité tant d’interprétations différentes. Pour finir, un portrait intitulé Le pari de Haneke de Jean-Jacques Bernard met en perspective l’ensemble de la carrière du réalisateur. Sous forme d’un entretien (redondant dans la forme avec celui de Serge Toubiana mais pas dans le fond), ce documentaire de cinquante-deux minutes ne laisse rien au hasard quant à l’évolution du cinéma d’Haneke et passe au crible selon leur thématique tous ses films (morale esthétique, rapport au temps, etc). Comme le souligne, Jean-Jacques Bernard, le réalisateur a pris un pari sur l’intelligence du public. Cette édition collector en fait de même.
Image & son : L’éditeur Opening a soigné son transfert et livre un résultat tel qu’on l’a découvert en salles. Immaculé ou poisseux selon le sens du plan, le master est exempt de défaut avec un trouble dans les couleurs idéalement saturées et une précision du piqué (vidéo) qui renforce encore plus la manipulation de l’image (raccords parfaits lors de l’utilisation des plans accélérés). Le son se fait fort de compléter la perfection de cette édition avec une spatialisation des effets étourdissante.
- Copyright Les Films du Losange
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etienne2056 21 novembre 2006
Caché - Michael Haneke - critique
On avait pas revu Michael Haneke depuis Le Temps du Loup, film qui n’avait pas vraiment marché. Aujourd’hui, il revient avec un film très fidèle à lui même : Caché. Prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes, cet ovni raconte l’histoire de Georges, un homme que l’on harcèle en lui envoyant des cassettes vidéos personnelles de lui. Vu comme ça, le scénario pourrait faire penser à un polar sans prétention vu et revu. Mais quand c’est Michael Haneke qui s’en charge, rien n’est pareil. Rien n’est pareil parce que par ses plans séquences, Michael Haneke retranscrit le réalisme et le cinéma mystérieux. Une sorte de David Lynch avec son style à lui. Car Michael Haneke a un style inimitable. Mais ça ne fonctionne pas toujours, et même si Caché possède une intrigue et une morale psychologique, il manque de réponses et d’indices. On en retiendra le côté mystérieux mais aussi le côté inachevé. Le film manque de réponses, et c’est le seul reproche que l’on peut faire à Caché, film propre à Michael Haneke.