Le 1er février 2019
A partir d’un fait divers authentique, Elia Kazan bâtit un réquisitoire féroce à l’impeccable rigueur.
- Réalisateur : Elia Kazan
- Acteurs : Dana Andrews, Jane Wyatt, Lee J. Cobb
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Twentieth Century Fox France
- Durée : 1h28mn
- Box-office : 702 592 entrées France / 224 583 entrées Paris Périphérie
- Date de sortie : 10 décembre 1947
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– Année de production : 1946
Résumé : Dans une paisible ville du Connecticut, un prêtre est retrouvé mort alors qu’il attendait au coin d’une rue. Les habitants de la ville se montrent horrifiés par un tel acte et en appellent à la police. Tous les témoins du meurtre identifient John Waldron comme un tueur...
Notre avis : On y insiste assez, le film s’inspire d’une histoire vraie, ce que la voix off corrobore régulièrement, tout en généralisant (ce pourrait être n’importe quelle ville de n’importe quel État). C’est qu’il ne s’agit pas seulement de raconter un fait divers, le meurtre d’un pasteur, mais aussi d’ausculter le système judiciaire américain et, plus largement, de faire le procès d’une société que les motifs politiciens gangrènent. Chacun voit dans le suspect rêvé une occasion de se venger, de gagner des élections, de boucler une affaire pénible ou de devenir gouverneur. Autrement dit, ce pauvre John Waldron n’est que la projection d’un désir multiple, celui d’une petite ville qui veut retourner à la prospérité tranquille qu’un meurtre a compromise.
© Twentieth Century Fox. Tous droits réservés.
Tout la première partie du film est le récit circonstancié, sans lyrisme ni effets de manche, de la traque et de l’arrestation du présumé meurtrier. Kazan, dans un esprit quasi-documentaire, détaille admirablement la progression de l’enquête, s’attardant sur des éléments signifiants ou sur les commentaires narquois de personnages secondaires. Par des séquences courtes et habilement imbriquées, il révèle les pressions s’exerçant sur la police et la justice, jusqu’à les pousser à la faute, ce dont tout le monde pourrait s’arranger ; du moment qu’un coupable est désigné, qu’il donne bonne conscience et que les affaires reprennent, peu importe qu’il soit innocent. Car dans cette fable morale, les puissants ont l’ironie facile et l’œil sur leurs intérêts ; ainsi commet-on d’office un avocat médiocre, dont on sait qu’il ne sera pas trop pugnace.
Pour autant, les braves gens ne sont pas davantage épargnées : des témoins peu fiables jusqu’aux lyncheurs potentiels, ils font preuve de courte vue et sont prêts à acquiescer que Waldron soit ou non coupables. Quant à la serveuse qui ne cherche qu’une revanche amoureuse, son portrait est virulent et sans nuances. C’est d’ailleurs l’un des reproches qu’on pourrait adresser au film : le scénario ne fait pas dans la dentelle et brosse à gros traits des archétypes caricaturaux (l’homme d’affaire véreux, la garce, l’avocat sans scrupules, etc.). De même les séquences au tribunal, dont on sait le cinéma hollywoodien friand, pêchent-elles par un aspect théâtral excessif : Harvey, le procureur héros, distille les preuves avec un art du suspense qui sert le film mais ne s’encombre pas de cohérence. Et pourtant, grâce en particulier au jeu retenu de Dana Andrews, ces séquences sont des plus jouissives en ce qu’elles règlent leur compte aux personnages que le spectateur a appris à détester, c’est à dire les témoins, le psychiatre, ou, à un degré moindre, le chef de la police.
Dans cette vision très sombre ne surnagent que peu d’hommes et de femmes positifs. Même Harvey a la tentation de clore l’affaire au plus vite et malgré ses doutes, pour assurer sa promotion. Il faut se reporter sur sa femme ou un journaliste pour trouver un reste d’intégrité et une lueur d’espoir. Si la justice triomphe, si Waldron est libéré, ce n’est que grâce à l’entêtement d’un procureur que son épouse et le respect de la déontologie (belle scène où il hésite et délibère intérieurement) motivent. Harvey a été le grain de sable dans une machine bien huilée qui ne fonctionne que sur des a priori et des intérêts.
Sans doute le meurtrier n’a-t-il jamais été retrouvé, comme le dit la voix off, et Kazan ne pouvait conclure sur une happy end apocryphe ; il suggère pourtant, par un magistral flash-back et de courts plans répartis dans le film, que c’est le fils du pasteur qui l’a tué pour le faire taire. Et voici l’innocente victime, que tout le monde aimait beaucoup, toujours prête à aider et conseiller, ramené en quelques minutes à la condition d’humain faillible, juge partial et dur. C’est au fond la morale de ce film implacable : derrière une façade respectable, chacun dissimule une part pas très reluisante, d’égoïsme, de préjugés ou de cupidité. On pourra trouver le trait chargé, mais le choix de Kazan, celui de miser sur la sobriété voire l’austérité, assure à cette œuvre peu connue une rigueur qui en fait le prix.
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