Le 3 décembre 2018
Bodied saisit à bras le corps le monde des battles de rap pour en délivrer le film ultime, doublé d’une réflexion cinglante sur le climat actuel en matière de communautés sociales et de discriminations en tout genre.
- Réalisateur : Joseph Kahn
- Acteurs : Walter Perez, Calum Worthy, Jackie Long, Rory Uphold
- Genre : Comédie, Drame, Musical
- Nationalité : Américain
- Distributeur : YouTube Premium
- Durée : 2h00mn
- Date télé : 30 novembre 2018 00:00
- Chaîne : YouTube Premium
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Résumé : Adam, un étudiant blanc issu des beaux quartiers, déchaîne les passions lorsqu’il décide de rejoindre le monde provocateur des rap battles, au grand dam d’Anna, sa petite amie féministe et possessive...
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Notre avis : Vendu comme une sorte de spin-off / suite / on-ne-sait-pas-trop-quoi-mais-ça-a-un-rapport de 8 Mile, avec la star Eminem à la production, Bodied ne ressemble au final pas tant à une œuvre du rappeur de Detroit qu’à une œuvre du réalisateur Joseph Kahn. Alors si l’on veut dire que ce réalisateur relativement méconnu a pondu comme plus "gros" film Torque, cela ne donnera pas le feeling qu’on va essayer de vous vendre avec ce petit film sur le rap (et bien plus). On va plutôt, pour le bien de tout le monde, reconnaître dans ce film sur les joutes verbales la patte du gars qui, quelques années plus tôt, était sorti (légèrement) de l’ombre avec un foutoir jouissif et corrosif : Detention. D’un regard pop décomplexé sur la jeunesse actuelle (enfin celle de 2010, mais il garde sa pertinence aujourd’hui) Kahn passe, six ans après, à un regard rap décomplexé. Le cadre change, les références aussi, mais le style reste le même, avec cette capacité impressionnante à parler d’une société et de la jeunesse par le prisme d’un bordel organisé. Que le réalisateur ait écrit un projet sur les battles de rap surprend autant qu’une intervention méprisante de M. Macron quand l’on se remémore la déferlante de répliques incisives que proposait Detention. Le réalisateur s’en donne à cœur joie de pouvoir littéralement écrire un film comme une série de punchlines géantes, faites de jeu de mots et de name dropping à en faire pâlir Philly Flingue. En roue libre créatrice, Joseph Kahn ne ment pas sur la marchandise : tu veux de la battle, lui va t’en donner.
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Plus rapide dans sa Mise à Flow que Davodka, Bodied démarre énervé et se termine avec la même hargne intacte. Le régime survitaminé du film offre une pléthore de fulgurances stylistiques qu’un autre film de battle n’aurait pas renié : Scott Pilgrim. Dans cette débauche d’énergie, le film tisse sa toile de fond d’une richesse impressionnante, d’autant plus qu’il le fait sans jamais perdre sa vivacité percutante, presque asphyxiante. Le récit est une mine d’or détonante sur les clivages de la société américaine à travers la notion du langage. En plus de proposer des combats verbaux à foison (une punchline = une fatality), Bodied transcende son sujet pour également se laisser la place de mener sa propre battle contre toutes sortes d’inepties liées au climat de notre époque. De manière très cinglante le film profite de poser son cadre initial dans une université américaine pour éventrer une sorte d’élite intellectuelle auto-proclamée majoritairement blanche et bien-pensante. Bodied déroule une critique exaltante sur ce climat paranoïaque où chaque mot peut être interprété de travers et enclencher un engrenage totalement absurde et incontrôlable qui atterrira sur YouTube tout droit dans les tendances. C’est la dérive du All Lives Matter et du Me Too qui est pointée du doigt avec un humour acide par la mise en scène de conversations sans fin pour déterminer le plus tolérant d’un groupe d’universitaires, pendant que quelques Afros, Hispaniques ou encore Asiatiques se balancent avec répartie les plus gros stéréotypes raciaux dans des confrontations orales sans limites.
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Bodied souligne ce décalage ici rendu saisissant et ridicule en taclant ces social justice warrior sur-analysant chaque acte, chaque parole, au point de balancer des paroles aussi nauséabondes qu’un article "militant" de Konbini vis-à-vis des causes qu’ils défendent. Mais de l’autre côté, personne n’est épargné non plus par l’exacerbation de plus en plus évidente du racisme entretenu par des personnes qui y sont pourtant sujets au quotidien. Joseph Kahn et le coscénariste Alex Larsen placent une quantité incroyable de réflexions compte tenu du rythme effréné avec lequel avance le récit. Chaque scène exprime son lot d’absurdités et de stéréotypes, apportant sa pierre à l’édifice d’un propos finalement bien moins unidirectionnel qu’il n’y paraît. D’abord tournées en dérision, les victimes privilégiées du réalisateur finissent par exprimer une part de vérité concernant le comportement du protagoniste, si bien qu’au final tout le monde en prend pour son grade obligeant par ce biais le spectateur à se remettre totalement en question arrivé au climax géant de trente minutes de battles de rap. Bodied dérange parce qu’il ne donne raison à personne et ne propose aucune figure parfaite qui nous permettrait d’obtenir une sécurité idéologique en s’attachant au personnage le plus juste. Difficile de savoir quoi penser de la finalité de cette histoire parce que rien n’est exprimé clairement. Ce n’est pas le récit d’une victoire, ni celui d’une défaite (un peu comme dans 8 Mile, œuvre que Kahn a parfaitement comprise), mais plutôt celui d’appropriations culturelles. Celui qui évoque explicitement les discriminations raciales le long de son film donne bien plus subtilement sa conclusion. La couleur de peau ou le genre ne déterminent pas la personnalité ; chacun doit lutter pour affirmer cette idée afin d’être accepté dans le groupe que l’on cherche à intégrer, qui nous ressemble, et donner autre chose à voir que les stéréotypes que notre apparence peut véhiculer. Voilà le combat d’Adam, celui de son mentor Osiris, et de bien d’autres encore.
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