Le 9 janvier 2019
Avec cette œuvre interactive, Black Mirror propose les balbutiements d’un genre de films rarement vus par une tentative riche dans son propos, pauvre dans son caractère ludique.
- Série : Black Mirror
- Réalisateur : David Slade
- Acteurs : Will Poulter, Alice Lowe, Fionn Whitehead
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Américain
- Durée : variable
- VOD : Netflix
- Date télé : 28 décembre 2018 00:00
- Chaîne : NETFLIX
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Diffusion sur Netflix à partir du 28 décembre 2018
Résumé : En 1984, un jeune programmeur remet en question la notion de réalité en adaptant un roman fantastique en jeu vidéo. Une histoire hallucinante aux multiples dénouements.
- Copyright : Netflix
- Acceptez-vous de lire le pavé qui vous attend ?
Notre avis : Depuis ses deux dernières saisons sur Netflix, Black Mirror a considérablement muté au point de devenir une anthologie à l’ADN de plus en plus indiscernable. Alors que son concept gravitait autour des réflexions sur les technologies et de ses déviances, la série a fini par brouiller les pistes concernant son identité à partir de la saison 3, la première sur le service de streaming américain. Une productivité grandement accrue pour des saisons bien moins régulières, voilà ce que l’on pourrait retenir de cette délocalisation chez le mastodonte de la VOD. Black Mirror est devenu un melting pot pas toujours heureux de moyens métrages (voire longs) en tout genre, prenant place dans un univers passé, présent ou futur, allant de la romance au film de guerre en passant par le thriller. C’est bien simple : en lançant un épisode de la série pour la première fois, il est impossible de savoir sur quoi l’on va tomber. On pourrait louer cette diversité et imprévisibilité si la série ne perdait pas de plus en plus ses aspérités, si elle ne rentrait pas dans un conformisme assez aberrant compte tenu de son ambition initiale. Black Mirror s’est transformée en une version de Bing à la fin de l’épisode Quinze Millions de Mérites, un produit de divertissement haut de gamme faussement critique et acerbe, encore faut-il trouver la moindre piste de réflexion dans certaines de ces œuvres. En injectant un gros paquet de dollars dans la production, Netflix a fait de cette série un beau produit, agréable à regarder, parfois ludique et parfois surprenant. Et c’est dans cet environnement qu’est sorti Bandersnatch.
- Copyright : Netflix
Rien, dans le concept de cet épisode spécial, n’est vraiment nouveau. Le film interactif, le jeu vidéo s’y était déjà pété les dents dans les années 80 et 90 avec les FMV, tentatives généralement foireuses de la part du 10ème art de s’approcher du 7ème, souvent considéré comme le modèle à égaler dans l’histoire du jeu vidéo. Si Bandersnatch reprend ce concept en l’inversant (ici c’est un film qui emprunte au jeu vidéo), il a le mérite de proposer une hybridation innovante, attisant assez la curiosité pour qu’on lui donne une chance. Que l’on ait été tenté par la proposition formelle de l’épisode plus que par son histoire met d’ailleurs en évidence le problème d’une série qui n’attire plus vraiment pour son écriture, et cet épisode spécial, bien que louable dans sa tentative de relancer la machine Black Mirror, se solde par un semi-échec, ou une semi-réussite, à chacun de juger ce qu’il y voit en regardant le verre.
- Copyright : Netflix
De la même manière que Super Mario 64 justifiait la présence de la caméra subjective, alors grande nouveauté dans le jeu vidéo, Bandersnatch repose en partie sur la justification de l’interactivité du récit, comme si la nouveauté devait trouver une raison d’exister dans la diégèse pour se légitimer. Mais cette idée trouve également son utilité ailleurs : elle questionne avec intelligence la place du personnage principal dans son monde et celle du spectateur qui le contrôle. Les pistes de réflexion amènent plusieurs niveaux de lecture passionnants à décortiquer et ne viennent pas entamer la cohérence de l’ensemble. Ceux qui ont pu critiquer les premiers choix futiles que l’on nous propose au début n’ont décidément pas compris le rapprochement opéré par Charlie Brooker avec le jeu vidéo. Tout comme Dark Souls III ne nous met pas devant Sœur Friede et Père Arandriel dans le premier quart d’heure de jeu, Bandersnatch ne va pas nous demander de choisir entre brûler notre maison ou la faire exploser alors que le protagoniste bouffe ses Frosties (cet exemple ne figure pas dans l’épisode, pas de spoiler on a dit). La logique suivie souligne bien la pertinence des emprunts au jeu vidéo pour construire le concept de Bandersnatch (et la mauvaise foi de ceux qui n’y auraient pas trouvé leur compte). La solidité de l’ensemble se ressent et laisse deviner le travail méticuleux et de longue haleine qu’a nécessité la réalisation de ce projet, bien loin du simple objet opportuniste et mercantile.
- Copyright : Netflix
Actuellement victime d’un fan service pernicieux dans l’industrie hollywoodienne, cache-misère d’une fainéantise scénaristique, même les années 80 apportent ici du poids à la réflexion. Placer l’intrigue en 1984 n’est pas un simple clin d’œil au roman de George Orwell, mais également un moyen malicieux de placer le spectateur comme le Big Brother du protagoniste, tombant de plus en plus dans la paranoïa, à une époque où la peur de se sentir observé, la peur de l’autre également, atteignaient un pic important. Esthétiquement l’épisode joue bien évidemment de la nostalgie de tout une décennie aujourd’hui mythifiée, mais sans jamais verser dans la référence facile et gratuite (si fan service il y a, ce serait plutôt à aller chercher du côté des nombreux clins d’œil aux autres épisodes de Black Mirror). Mais tandis que la reconstitution de l’époque profite, comme du propos, d’une attention particulière conduisant à sa justesse, la mise en scène de cette tentative de cinéma si particulière constitue la première des fragilités indiquant la très relative réussite de cet épisode.
- Copyright : Netflix
Méta de bout en bout, cet épisode Bandersnatch, peut susciter l’ironie et laisser la même impression que celle du critique concernant le jeu Bandersnatch : 2,5 étoiles sur 5, décevant. Si l’avis du testeur varie en fonction des choix réalisés par le spectateur, le nôtre restera le même, qu’importe la direction entreprise par l’épisode. Le fait est qu’il demeure plus intéressant de parler de ce Black Mirror que d’y prendre part. Un film interactif sans le plaisir de l’interactivité, c’est comme une pizza sans fromage, un Uncharted sans arme à feu, un Gaspard Noé sans plan-séquence, un Yann Moix sans hautaineté. La curiosité laisse rapidement place à l’ennui et l’agacement de voir nos choix converger vers un retour en arrière laborieux qui nous oblige ensuite à revivre les mêmes événements pour prendre une décision contraire à ce que l’on aurait voulu en premier lieu. Le spectateur se retrouve comme le personnage principal, manipulé. Nous sommes dirigés dans nos choix, et qu’importe que l’on puisse prendre les bons (selon les avis de chacun), la série nous remettra sur son droit chemin, celui qui détruira la santé mentale du personnage. Le caractère ludique s’éclipse après 20 minutes seulement telle une team Rocket vaincue et pourtant, de cette frustration naît le fatalisme très souvent au centre des épisodes de Black Mirror. Sauf que dans Bandersnatch cette fatalité acquiert une nouvelle dimension en allant jusqu’à directement impacter l’état d’esprit du spectateur. L’idée est formidable, mais s’opère sur le dos de l’expérience de jeu, ce qui en fait un mauvais moment à passer, mais assurément une intéressante expérience à analyser. Et quoi qu’on en dise, c’est ce qu’avait un peu perdu Black Mirror.
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