Le 26 avril 2013
Dmytryk métamorphose le conte de Perrault et crée une œuvre baroque, sensuelle et violente, heurtée par les blessures de la guerre.
- Réalisateur : Edward Dmytryk
- Acteurs : Richard Burton, Agostina Belli, Raquel Welch, Virna Lisi, Karin Schubert, Nathalie Delon, Joey Heatherton
- Genre : Drame, Thriller
- Nationalité : Français, Italien
- Editeur vidéo : Bac Films
- Durée : 2h05mn
- Titre original : Bluebeard
- Date de sortie : 3 mai 1973
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Un pilote de la Première Guerre mondiale est un bourreau des cœurs envié de tous. Il s’avère en réalité être un meurtrier qui assassine ses conquêtes...
Critique : La force et la beauté du récit de Perrault tenaient à sa manière de nous tendre la clé du mystère pour mieux en dissimuler l’horreur. Ainsi, dans le conte, lorsque la jeune épouse pénètre dans le cabinet interdit de son mari, c’est d’abord le noir qui s’offre à elle ; ensuite seulement, un reflet des corps suspendus au mur. Dmytryk renonce à cette révélation progressive de l’horreur et confronte son personnage (et du même coup son spectateur) à la vue glaçante de corps congelés, lacérés, décapités et maquillés comme des êtres vivants - puisque selon le mot du baron, seule la mort leur donne une apparence humaine ; mais le film ne renonce pas pour autant à la tension et à la force suggestive qui habitaient le conte, il en déplace les lieux et les effets. Car il y a une autre chambre dans le château de Kurt von Sepper, moins immédiatement dangereuse mais non moins horrifique que la bloody chamber du texte original : c’est la chambre noire où le baron développe ses clichés.
En effet, le terrifiant baron à la barbe bleue est un esthète qui collectionne les photographies de ses victimes ; photographies qu’il déforme au point de leur donner l’apparence de rorschach énigmatiques. C’est sur fond de décryptage d’une sexualité perverse que se déploie ainsi l’intrigue du film de Dmytryk. Par l’intermédiaire de l’épouse du baron, Anne, incarnée par la magnétique Joey Heatherton, le cinéaste va ausculter les troubles de son personnage, sous la forme d’une succession de révélations troublantes.
À la manière d’une enquête policière, le film délivre progressivement des indices visant à percer le mystère de l’assassin, chaque flashback constituant un instantané de sa vie amoureuse. Il est vrai que la démarche a quelque chose de didactique, notamment lorsqu’Anne décrypte la sexualité de son époux à un moment où la tension dramatique est à son comble. L’insistance de Dmytryk sur l’antisémitisme du personnage, avec en arrière-plan la montée du nazisme et le traumatisme irréparable de la Première Guerre, pourra également sembler un peu schématique dans son recours évident à la métaphore. Mais ces gros traits n’en ont pas moins leur charme et leur beauté. Ils participent d’une esthétique baroque où la démesure effraie et fascine.
Car en introduisant le spectateur dans un univers baroque et manichéen (et le manichéisme n’est pas toujours un défaut, lorsqu’il exprime de profonds antagonismes), le cinéaste cherche moins à véhiculer un point de vue moral sur l’histoire qu’à susciter chez son spectateur un mélange de trouble et de fascination. Incarnation du Mal, le baron vampirise en effet les femmes qu’il courtise, la bourgeoisie antisémite qu’il fréquente, parfois aussi le spectateur. Mais jusqu’à quel point le Mal peut-il fasciner ou séduire ? À quel endroit s’arrête la séduction qu’il opère ? Ce sont ces questions que le film pose et qu’il nous invite à nous poser.
C’est pourquoi cette flamboyante tragédie, en dépit de ses défauts apparents, conserve aujourd’hui toute sa virtuosité. Avec son style nerveux, fait d’ellipses et de cut incisifs, le cinéaste crée une œuvre à l’image de la clé qui permettait, dans le conte, d’ouvrir le cabinet interdit, et qui portait la trace ineffaçable du sang des victimes. Tantôt l’horreur s’y efface et laisse place à l’attrait sensuel des personnages, tantôt elle surgit, révélée par la beauté-même, ineffaçable comme l’horreur.
Le test DVD :
L’édition collector proposée par Bach Films met à l’honneur ce chef-d’œuvre peu connu du grand public, malgré un certain nombre de défauts techniques
Les suppléments :
Peu nombreux mais de qualité. Yves Boisset propose de Dmytryk un éclairant portrait et nous apprend que le film a été maintes fois remanié, contre la volonté du cinéaste qui hésitait à le signer de son nom. L’éditrice Fabienne Raphoz apporte quant à elle un éclairage intéressant sur le personnage de Barbe-Bleue.
L’image :
Un beau travail a été mené pour restaurer ou conserver la vivacité des couleurs. Les décors sont flamboyants et la texture des chairs, sensuelle et violente.
Le son :
On aurait pu attendre davantage d’une édition collector. Le mono est parfois désagréable à l’oreille et rompt le juste équilibre entre la musique et les bruitages, qui se superposent parfois de manière crispante.
Dans cette édition figure également la version réalisée par Edgar Ulmer en 1944 : Test ici
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.