Schizophrénie de l’exil
Le 17 décembre 2002
Mêlant autobiographie et fiction, Mohed Altrad conte les aspirations contradictoires d’un jeune exilé syrien.
- Auteur : Mohed Altrad
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Date de sortie : 4 mai 2011
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Roman de l’exil, Badawi est un récit en partie autobiographique, puisque Mohed Altrad, d’origine syrienne, a lui-même fait l’expérience du déracinement. Il vit maintenant en France et a été sélectionné, en tant que dirigeant d’entreprise-écrivain, pour le prix littéraire récompensant des entrepreneurs, Plum’Adély.
Le jour de la naissance de Maïouf, la femme qui lui a donné la vie est répudiée par son riche mari et doit fuir avec le nouveau-né à travers le désert pour rejoindre le village de sa mère ; celle-ci lui réserve le plus mauvais accueil et n’a de cesse de la remarier. Après une seconde noce et deux enfants, la mère de Maïouf meurt et l’enfant est élevé par sa grand-mère, orphelin bédouin délaissé par son père. L’enfant solitaire se prend alors de curiosité pour l’école, et, contre l’avis de sa grand-mère, se blesse chaque matin et chaque soir les pieds sur le sol rocailleux du désert pour aller jusqu’à l’école.
Déjà rejeté par son père et son village, puisqu’il est le fils honteux d’une femme répudié, Maïouf ne parvient pas à se faire accepter par les autres écoliers. L’humiliation et la colère lui font alors comprendre qu’il n’a plus rien à perdre et ce qui n’était que curiosité d’apprendre devient l’arme de sa vengeance, le terreau de sa volonté. Ne comptant plus que sur lui-même, il réussit à suivre ses études jusqu’au lycée, fuyant son désert natal, oubliant ses racines bédouines, allant même jusqu’à changer son prénom quand il s’inscrit à l’université de Montpellier où il apprendra la pétrochimie grâce à une bourse qu’il a reçue du gouvernement syrien : Maïouf "l’abandonné" devient ainsi Quaher, "le victorieux".
Pas de mise en scène bruyamment dramatique dans ce roman sur l’exil, pas de longues et tourmentées descriptions sur la souffrance intérieure de celui qui perd son identité première sans pour autant en gagner une nouvelle. Le ton de Mohed Altrad est à l’image de son héros : pas bavard, un peu naïf, mal à l’aise dans l’expression des sentiments, dépassé par ses propres aspirations à devenir autre, par son ambition désespérée. Une ambition qui lui fait croire qu’il a oublié d’où il venait, ce à quoi il croyait et qui il aimait : dupé par le décalage quasi schizophrène qui s’opère entre Maïouf et Quaher, il en vient même à négliger Fadia, la jeune fille qui l’attend en Syrie, à feindre d’ignorer l’amour qu’elle lui porte, à ne plus croire en ses sentiments pour elle, à rompre leur promesse.
Au-delà de l’itinéraire d’un enfant qui fuit pour échapper à son destin de berger dans les dunes de sable, le poète Mohed Altrad, lui le Syrien qui a depuis longtemps quitté son pays pour la France, nous conte le désert, la rudesse du quotidien des Badawi, les Bédouins, dans ce milieu à la fois enchanteur et hostile ; il nous raconte leurs rites et leur justice injuste aux yeux des sédentaires qui les méprisent ; il nous dit les veillées sous la tente et devient lui-même ce conteur auquel l’enfant Badawi cessera vite de croire : "Sa voix grave, emplie de soleil et de cris, délivrait des chants, des rumeurs inconnues, des odeurs de pays et de peuples lointains. Dans l’ombre, les femmes se tenaient debout tandis que les enfants cherchaient à discerner, à travers les rangs serrés des hommes, le visage du conteur pour y lire le mouvement profond des histoires qu’ils entendaient." A vous maintenant d’écouter Altrad et de vous laisser conter l’histoire de l’enfant du désert...
Mohed Altrad, Badawi, Actes Sud, coll. "Bleu", 2002, 255 pages, 15,90 €
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