A la recherche du temps perdu
Le 8 décembre 2015
Féru de littérature, Joachim Trier signe un nouveau film où l’écriture apparaît comme un acte libérateur. Une œuvre subtile et imaginative servie cette fois par un casting prestigieux.
- Réalisateur : Joachim Trier
- Acteurs : Isabelle Huppert, Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg, Amy Ryan, David Strathairn
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain, Français, Allemand
- Durée : 01h49mn
- Titre original : Louder Than Bombs
- Date de sortie : 9 décembre 2015
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Ancien titre : Plus fort que les Bombes
L’argument : La préparation d’une exposition consacrée à la célèbre photographe Isabelle Reed trois ans après sa mort inattendue amène son mari et ses deux fils à se réunir dans la maison familiale. Refait alors surface un secret qui plonge leurs vies apparemment calmes dans le chaos.
Notre avis : Dans le cinéma de Joachim Trier, la littérature, et par extension l’écriture sous toutes ses formes, a quelque chose de séminal. Déjà dans Nouvelle donne, son premier long, les protagonistes Erik et Philip cherchaient à devenir écrivains à tous prix. Tandis qu’Anders tentait de refaire surface en postulant dans la rédaction d’un prestigieux magazine culturelle, dans Oslo, 31 août – l’adaptation cryptique du Feu Follet de Drieu la Rochelle. Ainsi, l’acte d’écrire se présentait à chaque fois comme un horizon cathartique, seule façon d’éviter l’inertie et la mort. Dans Back Home, le cinéaste norvégien conserve cette logique en ancrant son récit autour du personnage de Conrad, cadet d’une famille dont la mère, photo-reporter de guerre, a trouvé la mort dans un mystérieux accident de voiture trois ans auparavant. Peu de chances que le prénom de l’adolescent soit un hasard, lorsque l’on sait que l’écrivain Joseph Conrad affirmait qu’il n’avait que la littérature comme moyen d’existence. Si l’auteur de La folie Almayer faisait allusion à l’aspect financier de la chose, nul doute qu’il percevait aussi cet acte créateur comme un antidote. La preuve ici : c’est une fois encore par l’écriture que le jeune Conrad permettra indirectement à chacun dans Plus fort que les bombes de retrouver de la quiétude.
A l’occasion des trois ans de la mort de sa mère Isabelle, photographe hyperactive à la renommée internationale, une exposition hommage doit lui être consacrée à New York. Mais rien à faire : Conrad ne parvient pas à faire son deuil et s’enferme dans le mutisme, fuyant les assauts bienveillants de son père Gene. Pendant ce temps, son frère aîné Jonah, jeune professeur de sociologie à l’Université, pense pouvoir conjurer le sort grâce à la récente naissance de son fils. Mais cette échappatoire est un leurre, et ce dernier ne manque pas de tomber dans les bras d’une ex que sa mère trouvait jadis séduisante. Bientôt, ce trio déchiré se retrouve au complet dans la maison familiale. Le temps est venu de réunir les planches contacts d’Isabelle pour préparer l’exposition, mais aussi surtout de dénouer l’indicible, pour que chacun puisse reprendre le cours de sa vie, apaisé.
En y regardant de plus près, Plus fort que les bombes peut se lire sous le prisme de l’Œdipe, du moins de la psychanalyse : Conrad a perdu sa mère et cherche à palier son absence via son attirance pour une camarade de classe. A noter que la séquence onirique dans un sous-bois au clair de Lune, qui traduit sa passion conjointe pour l’adolescente et le souvenir de sa mère, montre en quelques secondes ce que La Forêt des songes a été incapable de produire en deux heures de film. De même, Jonah retombe dans les bras d’une ex-petite amie dont la mère est également décédée - ces derniers feront d’ailleurs l’amour avec l’un des vieux préservatifs de la mère défunte. Enfin, Gene vit quant à lui une aventure avec une enseignante de lycée de Conrad, qui contribue, sans se substituer à une mère, à accompagner la trajectoire de son fils. Des penchants qui ne tiennent pas du hasard.
Via sa dépression latente et son rapport tronqué au monde, Conrad va involontairement permettre à la vérité d’éclore. Une résolution qui s’accompagne d’une mise en scène inventive où s’entremêlent ses rêves, les photographies de sa mère, ses parties de jeux vidéo en ligne – où son père désemparé tente de le retrouver –, les projections mentales de son frère et de Gene. Pour exprimer la façon dont Isabelle a permis à son jeune fils d’accéder à la vérité du monde, ce dernier se rappelle plein cadre au souvenir de photographies comme La fille à la fleur, de Marc Riboud. Masquer ou pas la partie gauche de l’image transforme en effet le sens de l’image. Ainsi, le diable, de même que toute la complexité du monde, seraient bel et bien cachés dans les détails. Cette façon bien particulière d’observer les choses, c’est elle qui permet à Conrad de percevoir ce que son père et son grand frère sont incapables d’assimiler. Mais comme le jeune homme est inapte à transcrire par les mots ce regard si singulier, il ne lui reste que l’écriture pour le partager. Lorsque Jonah, fatigué de le voir s’isoler devant ses jeux vidéo, lui fait remarquer que ses jeux de guerre présentent une vision unilatérale des conflits et de la géopolitique, Conrad ouvre un fichier Word en guise de réponse. Si Jonah juge à la fois étrange et brillant cet agrégat de mots, il vient en réalité sans le savoir de retrouver le chemin vers sa mère.
Dès lors qu’il s’agit de représenter les visions poétiques de Conrad, Joachim Trier éblouit. Reprenant parfois à son compte les codes du teen movie, il donne à son personnage un côté chaotique étonnant. L’on se remémore alors le flot de pensées d’Anders dans Oslo, 31 août. Ce moment prodigieux où il se projetait dans la peau de tous les badauds alentour, pour tenter de savoir si oui ou non le suicide lui serait apparu comme inéluctable s’il était quelqu’un d’autre. Malheureusement, Back Home n’égale qu’à de rares exceptions les réussites de son prédécesseur. La faute peut-être à un casting trop mainstream (Isabelle Huppert, Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg), et à des péripéties un peu trop lancinantes. Pour autant, il serait dommage de se détourner du dernier film de Joachim Trier.
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