Ce sont des vacances presque comme les autres pour cette petite bande de jeunes gens de Milan, Turin ou Rome, dont les familles, fuyant les bombardements alliés, se sont réfugiées dans une station de montagne proche de la Suisse. Entre parties de tennis, promenades et devoirs de vacances, le ballet de leurs amours naissantes se déroule sous le regard de la benjamine qui s’interroge : "Est-ce qu’on peut être malheureux à douze ans ?" Oui, bien sûr, on a toutes les raisons de l’être à cet âge charnière où les calamités s’accumulent. Corps boudiné dans des robes de petite fille, faim tenaillante en cette période de restrictions, appareil dentaire qui vous défigure, sentiment d’être moche et bête et surtout exclue de l’univers des grands. Ces grands qui peuvent être casse-pieds, insolents, cruels, orgueilleux, mélancoliques, tout ce qu’on veut, même pontifiants et pédants comme Augusto le manchot, peu importe, elle l’aime.

Au fil d’une écriture tendue à se rompre, Rosetta Loy, qui avait elle aussi douze ans en 1943, recrée l’été du malheur de grandir. Le temps des chamboulements incompréhensibles provoquant la détresse d’une adolescente qui compare - dans une de ces formules simples et magiques dont l’auteure a le secret - ses sentiments à "des arbres dont l’écorce est enlevée". Apprentissage à vif, brossé en saynètes qui vont à l’essentiel, jusqu’au choc qui littéralement la liquéfiera : elle ne représente rien pour l’objet aimé.

En même temps que cette découverte qui lui brise le coeur, arrive la pluie qui sonne le glas de l’été et l’Histoire, la grande, dans laquelle va se diluer le malheur d’être soi. Sur l’air de la chanson des vacances, Ay, Paloma, passée et repassée sur le gramophone à manivelle, le petit groupe se déchirera. Les uns et les autres partiront vers leur destin, qui du côté des fascistes, qui du côté des partisans... ou dans un wagon plombé.

De cet été 43 ne restera que le souvenir nostalgique du deuil de l’enfance dans lequel s’est immergée Rosetta Loy pour nous donner ce bref roman, intensément dramatique. En creusant dans les strates de sa mémoire, elle a retrouvé celle qu’elle était alors, naïve et mal dans sa peau avec ses genoux écorchés, ses seins naissants et ses centaines de questions sans réponse. Une petite fille que les circonstances ont fait grandir d’un coup et à laquelle l’écrivaine d’aujourd’hui se sent éminemment redevable. Tant il est vrai qu’on ne guérit jamais de son enfance.