Le 22 août 2021
D’une puissance rare, ce roman est aussi paradoxalement presque monocorde, aussi régulier que le roulis des flots et pourtant porté par un souffle poétique confinant au sublime, dans le sens littéraire du terme.


- Auteur : Paul Lynch
- Collection : Terres d’Amérique
- Editeur : Albin Michel
- Genre : Roman, Nature Writing
- Nationalité : Irlandaise
- Traducteur : Marina Boraso
- Titre original : Beyond the Sea
- Date de sortie : 18 août 2021
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur

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Résumé : Malgré l’annonce d’une tempête, Bolivar, un pêcheur sud-américain, convainc le jeune Hector de prendre la mer avec lui. Tous deux se retrouvent vite à la merci des éléments, prisonniers de l’immensité de l’océan Pacifique. Unis par cette terrifiante intimité forcée et sans issue, ils se heurtent aux limites de la foi et de l’espoir, à l’essence de la vie et de la mort, à leur propre conscience.
Critique : Paul Lynch imagine un pêcheur et un adolescent payé pour l’accompagner cette fois-ci, exceptionnellement. Ces deux personnages s’éloignent vers le large, alors que le ciel est sombre et menaçant, que la mer est grise et promet de se déchaîner. Une fois le panga aussi immobile qu’il peut l’être sur les vagues, le filet déployé, la houle s’intensifie. Ils sont perdus en pleine tempête, sur un bateau dont le moteur est condamné, rendu inutilisable par les flots.
Le dénuement le plus total de cette trame narrative ne laisse pas deviner la puissance poétique qui porte le roman. La langue de l’auteur irlandais, sublimée par la traduction de Marina Boraso, vogue sur l’océan, crée des ombres mouvantes et des illusions, donne corps à la pluie et fait sentir le roulis de la mer, inlassable, épuisant, d’une monotonie à rendre fou. Bolivar et son jeune mousse font face à la fatalité avec amertume et, bientôt, désespoir, les regrets et les remords venant les mordre aussi férocement que pourraient le faire les requins qui rôdent. Leur condition humaine, la contraction du temps, immobile dans la succession sans fin de l’ombre et de la lumière, de l’orangé de l’aube au pourpre du crépuscule, la fragilité de leur corps face à l’infinité – ils dissertent, divaguent, se battent entre deux poissons dévorés crus. Le sel fige leurs mouvements, alourdit leur langue, grippe leur esprit. Paul Lynch semble se livrer à une expérience macabre, scientifique examinant deux spécimens seuls au milieu de l’eau, isolés, sans échappatoire, affaiblis par l’immobilité, la faim, la soif. Ils les laissent cohabiter, échanger avec une certaine tendresse, avant de se déchirer avec aigreur. Ce roman est aussi prétexte à philosopher, portant une vision sans fard sur ce que nous sommes et à quoi se réduit notre humanité – finalement, si peu.
Les longueurs, inévitables, n’empèsent que peu les métaphores de Paul Lynch et ne l’empêchent pas de signer un récit puissant et singulier, à la fois étale, atone, et d’une rare force.
Paul Lynch - Au-delà de la mer
Albin Michel (Terres d’Amérique)
140mm x 205mm
240 pages
19,90 euros