Jason goes to hell
Le 17 mai 2015
Entre action politique et survival administratif, le troisième film de Ben Affleck confirme que son réalisateur est un vrai cinéaste, et qu’il se prépare tranquillement une carrière de Clint Eastwood démocrate.
- Réalisateur : Ben Affleck
- Acteurs : Ben Affleck , John Goodman, Alan Arkin, Adrienne Barbeau, Chris Messina, Kyle Chandler, Bryan Cranston, Tate Donovan, Philip Baker Hall, Zeljko Ivanek
- Genre : Drame, Thriller, Espionnage
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 1h59mn
- Date télé : 11 septembre 2024 23:59
- Chaîne : Ciné+ Premier
- Titre original : Argo
- Date de sortie : 7 novembre 2012
Résumé : Le 4 novembre 1979, au summum de la révolution iranienne, des militants envahissent l’ambassade américaine de Téhéran, et prennent cinquante-deux Américains en otage. Mais au milieu du chaos, six Américains réussissent à s’échapper et à se réfugier au domicile de l’ambassadeur canadien. Sachant qu’ils seront inévitablement découverts et probablement tués, un spécialiste de "l’exfiltration" de la CIA du nom de Tony Mendez monte un plan risqué visant à les faire sortir du pays. Un plan si incroyable qu’il ne pourrait exister qu’au cinéma.
Critique : On le savait depuis Gone Baby Gone et surtout The Town, mais le cinéma de l’autre Affleck (à moins que Casey soit « l’autre ») ne tolère ni les cadres cosmétiques, ni les effets de manche, et encore moins les marathons graphiques. Ses thrillers sont des sprinters fonctionnels de longue haleine, épidermiques et portés à l’épaule. Pas nécessairement pingre ou moins ambitieux que les autres, mais foncièrement lucide, Ben est un rigoureux qui préfère ne pas chercher à réinventer le travelling quand ses acteurs (dont il fait lui-même partie) ne demandent qu’un peu d’attention pour faire la majeure partie du boulot et nous servir le récit sur un joli plateau de bois sombre, l’argent étant réservé aux poseurs ou aux véritables bénis de la pupille. Si la moitié des réalisateurs américains faisait preuve du quart de l’intelligence ou du recul d’Affleck, la somme du cinéma yankee serait toujours à la hauteur de sa réputation. L’efficacité n’est pas toujours une grossièreté, et n’allez certainement pas confondre cela avec de l’humilité mal placée.
- © Warner Bros. France. Tous droits réservés.
Argo ne déroge pas aux règles de l’art pauvre qui huilaient les mécaniques de ses aînés. Et comme tout chef qui ne vise pas les étoiles, Affleck mise avant tout sur la qualité et l’authenticité de ses produits. À ce titre, son dernier bébé est une profession de foi : filmage documentaire, légers filtres vintage, lumière brutale, images d’archives et de télévision omniprésentes, belles moustaches, et le contexte est posé. Vous êtes à Téhéran en 1979. Ajoutez à cela un découpage rapide mais pas pressé, une attention souvent portée sur la chose plutôt que sur son symbole pour le côté enfer terrestre (des pendus et des bagnoles embrasées), une vraie science du détail sensitif et du gros plan pour suggérer la panique, le sentiment de claustration ou la fragilité de ses protagonistes (on ne compte plus les plans de chaînes frappées, de verre brisé, de papier jeté) : et vous avez saisi l’essentiel de la grammaire du bonhomme, dont seule l’intégrité et le bon sens garantissent le succès. Sa logique est binaire, certes, mais pertinente : en opposant systématiquement la lenteur frileuse des administrations et l’urgence de la situation iranienne, centrées sur les hommes de part et d’autre, Affleck le réalisateur imagine la gangue parfaite pour Affleck l’acteur (et ses petits camarades).
Tiré d’une histoire vraie, le scénario d’Argo est assez invraisemblable pour séduire le premier humaniste venu. Exemple unique de collaboration entre le gouvernement américain, l’ambassade canadienne, l’industrie hollywoodienne (chargée de mettre sur pied un faux projet de film tourné en Iran pour exfiltrer les otages) et un franc-tireur de la CIA transcendé par son rôle, la chose a tout du terreau idéal pour illuminés en mal d’héroïsme ordinaire. Ce sont les dialogues au cutter, puissants et sans fard, parfois même très drôles (le personnage du producteur Lester Siegel est un petit sommet), qui ont à vrai dire la lourde tâche de relativiser ce conte de fée politique sans le désenchanter totalement. Eux-mêmes surpris par ce qu’ils sont en train de réaliser, en lutte permanente avec des systèmes qui sont autant d’obstacles que de portes de sortie, les personnages filmés au plus près et une nouvelle fois parfaitement dirigés vous pousseront rapidement à bazarder tout scepticisme malvenu. We can be heroes.
- © Warner Bros. France. Tous droits réservés.
Mais quand Affleck se fait Soderbergh, c’est-à-dire lorsqu’il suit l’évasion des otages à proprement filmer avec des manières de faiseur essoufflé, Argo se déshabille promptement et nous agite les limites de son géniteur sous le nez. Suspense répétitif, systématisation de la règle du « juste à temps », multiplication de regards inquiets et design sonore de plomb (ah, ces petits crescendos de musique flippée conclus par un coup de tampon salvateur…) : le film ne crache sur aucune ficelle, quelle que soit sa taille, pour arriver à bon port. Et si tout ça fonctionne malgré tout, à défaut de balayer notre incrédulité avec la même constance que la première partie, il nous faut saluer l’excellent travail sur les personnages réalisé en amont et une maîtrise du rythme qui le place d’emblée au-dessus du reste de la production industrielle. Grosses ficelles, oui, mais solidement attachées. Il est des boulets qu’on aime traîner. Gageons que celui là risque de sérieusement rayer les parquets du box-office dans les semaines à venir.
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Laurence Morel 23 février 2013
Argo - Ben Affleck - critique
Excellent film. La fuite est filmé en temps quasi réel ce qui donne l’impression d’être un otage. Une prestation remarquable de Ben Affleck. Un film qui risque de rafler beaucoup d’Oscars. Et ça sera mérité.