My heart belongs to daddy
Le 29 janvier 2003
Dans un premier roman aux faux airs de Truismes, Sophie Jabès dit la douleur d’être soi quand on n’est rien pour les autres.
- Auteur : Sophie Jabès
- Editeur : Verticales
- Genre : Roman & fiction
Alice est fine et soignée et voue un culte de tous les instants à ce corps qu’elle ne se lasse jamais d’admirer. Epilations, crèmes, massages, rien n’est superflu quand il s’agit d’entretenir une silhouette qui fait rêver les jeunes Romains, sans qu’Alice leur fasse jamais l’aumône d’un regard. Elle attend comme une fête les visites aléatoires et furtives d’un père indifférent et autocentré, qui la laissent insatisfaite, mélancolique, dans l’attente du prochain passage-éclair. Cette fois-ci, la visite sera brève, mais décisive. "Ma fille", lâche-t-il avant de filer, "tu n’es pas Marylin Monroe, alors rappelle-toi, tu dois être gentille, très gentille avec les hommes." Pour Alice, c’est la fin du monde. A quoi bon s’évertuer si on n’est rien dans le regard de ceux pour qui on existe.
Elle n’aura de cesse que de combler ce vide inguérissable, se perdre dans cette ivresse de la métamorphose, où le corps, peu à peu, s’éloigne aussi de nous pour devenir autre, objet de haine et de fascination, l’ennemi. Désormais, sa bouche sera l’orifice de toutes les jouissances, distribuant à une clientèle empressée des gratifications sucrées et gourmandes.
Sophie Jabès évoque avec légèreté cette béance qu’est la quête de reconnaissance, ce vide impossible à combler qu’ouvre en nous l’indifférence, le mépris, le désintérêt de ceux à qui l’on a tout à prouver.
La destruction qu’Alice entreprend d’elle-même, tantôt lucide, tantôt compulsive, sera à la mesure de la perfection qu’elle avait cru atteindre : une lente et consciencieuse mutilation, une perte des perceptions, l’abandon d’un corps qui ne fait plus partie d’elle.
Où est la vérité, quand on a été capable de se tromper à ce point sur son compte ? Elle ne nous appartient plus. Elle n’est plus que le regard de l’autre qui nous dit son envie, son désir, qui nous juge. Alice enfle, indifférente à cette montagne de graisse qui, faute de la remplir, la protège des autres. Elle n’a plus de corps, elle n’est plus qu’une bouche, et le désir qu’elle perçoit dans le regard des hommes. Elle n’existe plus, aspirée par ce vide qui l’empêche d’être.
Une langue légère et aérée, pour explorer les failles et les cassures qui déterminent une vie. Un titre de comptine... Qui sera mangé ?
Sophie Jabès, Alice la saucisse, Verticales, 2003, 125 pages, 14,50 €
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flam 23 novembre 2005
Alice la saucisse - Sophie Jabès
Je suis tombée sur ce petit roman et je l’ai acheté à cause du titre... en plus il est court.
Je l’ai quasiment lu d’une traite sans respirer.
Ce livre est sans fioriture, il n’est pas du tout romanesque. Il est même abrupt, direct, douloureux, épouvantable... pour qui aime lire entre les lignes.
Mais c’est un vrai régal.