Le 24 octobre 2023
Avec cette longue errance, Wenders signe un film sensible et précis, voyage physique aussi bien qu’intérieur.
- Réalisateur : Wim Wenders
- Acteurs : Lisa Kreuzer, Rüdiger Vogler, Chuck Berry, Yella Rottländer
- Genre : Drame, Noir et blanc, Film culte
- Nationalité : Allemand
- Distributeur : Les Films du Losange, Les Acacias
- Durée : 1h50mn
- Reprise: 25 octobre 2023
- Box-office : 146.459 entrées France / 78.816 entrées Paris Périphérie
- Titre original : Alice in den Städten
- Date de sortie : 1er juin 1977
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– Reprise en version restaurée : 25 octobre 2023
– Année de production : 1974
Résumé : Un jeune journaliste allemand en reportage aux États-Unis est bloqué dans un aéroport en grève. Une femme dans la même situation lui confie sa fillette, Alice. elle doit les rejoindre à Amsterdam. Au lieu de rendez-vous, aucune trace de la jeune femme...
Critique : Même si ce n’est pas le cas, Wenders considère Alice dans les villes comme son premier film, le premier d’une série sur le voyage (la trilogie comporte aussi Faux mouvement et Au fil du temps, mais se prolonge bien au-delà, au moins jusqu’à Paris, Texas), le premier aussi qui installe son auteur en figure de proue tardive du « nouveau cinéma allemand ». Bien que s’inscrivant dans un héritage (dont, évidemment, Easy Rider), ce métrage lent et hypnotique crée une voie (et une voix) à part, un cheminement qui est autant une initiation qu’une contemplation et dont le travail sur la narration, et sa contestation, fait l’un des charmes.
- © 1974 Wim Wenders Stiftung / 2023 Solaris Distribution. Tous droits réservés.
La première partie met en scène Philip Winter parcourant les États-Unis dans une voiture et prenant des photos avec un Polaroïd au gré de haltes apparemment sans intérêt ; comme les hôtels anonymes, les paysages monotones et l’absence de péripéties façonnent une béance, exact pendant du vide intérieur du personnage. Du peu de rencontres qu’il fait il ne tire rien, juste un peu d’argent à la fin, quand il vend la voiture. Mais même cette vente est décevante à l’image des photos qui « ne montrent jamais ce qu’on a vu ». Parti pour écrire, Philip fait l’expérience de l’impuissance, thème flottant dans le film (impuissance à communiquer, à trouver une maison, à comprendre soi et le monde) et le premier voyage se solde par un échec, aussi bien créatif que financier. Wenders en profite pour régler ses comptes avec la société américaine dont la radio est bluffeuse et la télévision inhumaine, tout en étant fasciné par les paysages d’un aussi vaste pays qu’il filme avec des travellings majestueux, saisissant au passage des petits riens. Car si la photo échoue à montrer la réalité, le cinéma peut s’y essayer. Non pas pour raconter une histoire, mais pour se laisser aller au plaisir de la contemplation gratuite et attentive : si l’on regarde assez longtemps, le réel advient. D’où ce reproche du rédacteur en chef, qui pourrait être le grief d’un spectateur à l’encontre de Wenders : « vous étiez censé raconter une histoire ».
Mais l’histoire en question se dérobe, elle fuit comme un adieu à la narration classique, symbolisée par la mort de John Ford évoquée vers la fin, alors qu’on avait entrevu un extrait de Vers sa destinée, réduit à quelques images massacrées par la télévision. Elle n’est plus qu’une faille que le cinéaste explore, l’indice d’un monde privé de sens.
Pourtant, un rebondissement, la rencontre à l’aéroport avec une femme et sa fille, l’Alice du titre, bouleverse la donne : Philip se voit chargé de l’enfant, malgré lui, une enfant pas très sympathique (l’anti-Shirley Temple) qui, à l’instar de l’héroïne éponyme de Lewis Carroll, est plongée dans un monde dont elle ignore les règles. D’Amsterdam à la Ruhr, ils s’apprivoisent mutuellement ; dans une scène symbolique d’une grande beauté, ils posent tous deux pour une photo, souriant alternativement puis, enfin, ensemble. Alice comble le vide extraordinaire et contrebalance l’égoïsme dont il fait preuve au début. C’est que, découvrant l’autre, endossant sa fausse paternité, il trouve enfin un but à son errance, même si ce but n’est qu’un prétexte pour vivre au présent, simplement, au hasard d’une impossible recherche. Il faudra une coïncidence pour que leur voyage s’arrête, mais qu’importe, il a fait son œuvre : Philip peut « écrire la fin de l’histoire ».
- © 1974 Wim Wenders Stiftung / 2023 Solaris Distribution. Tous droits réservés.
De cette intrigue ténue, Wenders fait un long-métrage sensible que des cadrages toujours impeccables magnifient sans cesse : rien de formaliste pourtant, dans cette quête de l’image juste. Le long gros plan sur Alice dans la voiture, par exemple, vaut autant par son choix esthétique que par sa finesse d’observation : il nous dit plus sur le plaisir d’être là qu’un discours n’aurait pu le faire. Jamais le dépouillement n’est pauvreté. Jamais non plus le film ne s’embarrasse d’un message, même si la critique sociale n’est pas loin. Le cœur de Alice dans les villes, c’est l’observation têtue d’un personnage porte-parole, dont on ne sait presque rien, et qui apprend à vivre en regardant, puis en échangeant. Si la morale en semble simpliste, c’est que, comme pour le voyage, l’essentiel n’est pas la destination à atteindre, mais le cheminement.
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