Critique : L’univers romanesque d’Yves Ravey est très codé : économie de moyens, écriture sèche, personnages banals, violence des rapports humains, dénouement inattendu ; et pourtant le lecteur se laisse toujours envoûter. Jean Seghers, protagoniste du roman, est le patron d’une station-service en redressement judiciaire. Malgré cette faillite, il semble avoir trouvé un compromis avec Xavier Walden, le président du tribunal de commerce et ancien camarade de classe de sa femme Remedios qu’il soupçonne d’infidélité. Cela n’empêche pas son employé mécanicien de lui réclamer avec insistance ses indemnités de licenciement. En quelques jours, la machine est lancée : acculé par les dettes, rongé par le doute, la solution criminelle se présente à ce héros sans envergure, ni état d’âme. Mais c’est sans compter sur la perspicacité d’une experte en assurances…
Simple en apparence comme ce lieu en bord de nationale au milieu de nulle part, ni point de départ, ni arrivée, l’intrigue met en scène des relations entre les êtres constituées de pressions, de suspicions et de trahisons. Les personnages sont presque uniquement représentés par l’imaginaire que charrient leurs noms, comme assignés à jouer un rôle sans dévier. Leurs désirs profonds et leurs motivations réelles ne sont que vaguement esquissés au détour d’une phrase. Et c’est là tout le génie d’Yves Ravey qui n’offre rien de grandiose à ces existences médiocres, mais les confronte à des situations qui, aussi prévisibles soient-elles, les font basculer dans l’inattendu et l’exceptionnel. Les personnages transcendent ainsi le fait divers comme s’ils échappaient au déterminisme auquel le lecteur les a assignés, grâce à l’habileté d’un auteur qui reste seul maître du jeu.