Face à face
Le 9 janvier 2006
En pleine guerre d’Espagne, deux grands écrivains s’affrontent. Un essai aussi intéressant qu’énervant par son côté manichéen.
- Auteur : Stephen Koch
- Editeur : Grasset
- Genre : Essai
- Nationalité : Américaine
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Deux des plus grands écrivains américains du XXe siècle. Deux personnalités qui n’ont rien de commun sinon leur talent et leur admiration réciproque. Un catalyseur : la guerre d’Espagne. Comment ils deviennent les marionnettes de Staline, manipulés par un agent cinéaste du nom de Joris Ivens. Comment ils se heurtent au sujet du meurtre énigmatique d’un responsable républicain, José Robles. Hemingway croit aux salades servies par les Soviétiques (Robles serait un traître, un espion fasciste). Dos Passos, au contraire, subodore le pire et cherche à savoir la vérité. Affrontement sans merci. Fin d’une amitié.
L’affiche est alléchante et le scénario aux petits oignons. Mais la mayonnaise de Stephen Koch un peu indigeste. D’entrée de jeu, il choisit son camp, accable Hemingway, monte en épingle les mensonges que celui-ci sème à tous vents au sujet de sa relation extra-conjugale avec celle qui va devenir sa troisième épouse, Martha Gellhorn. Mais quel homme, pris entre deux feux, hésitant à bouleverser sa vie, n’en ferait pas autant ? C’est un faux procès, qui plombe le livre. D’autant que face à un Hemingway carriériste, alcoolique et sûr de lui à l’excès, Dos Passos apparaît comme une sorte de saint de gauche, dépourvu de toute vilénie. Le bon et le méchant. Le noir et le blanc. Un peu plus de mesure aurait fait de ce livre un grand document.
Car, en dehors du manichéisme outrancier avec lequel sont présentés les deux principaux protagonistes, la peinture de l’époque est tout à fait réussie. On y voit l’intelligentsia de gauche américaine noyautée par le Komintern (c’est la thèse de Koch et qui fait comprendre, en creux, l’émergence ultérieure du maccarthysme). On y voit comment, depuis le Kremlin, sont tirées les ficelles en Espagne, au nez et à la barbe des intellectuels du monde entier qui s’y précipitent pour témoigner. On y voit le cynisme stalinien à l’œuvre face à la naïveté desespérante des élites intellectuelles occidentales. Certaines scènes font véritablement mouche. Les enjeux sont mis en place avec perspicacité, la leçon d’histoire est digne d’intérêt et la façon de Koch de remettre les pendules à l’heure tout à fait passionnante pour qui sait faire la part des choses. D’autant qu’on ne pourra que le suivre sur le terrain de sa conclusion. De la guerre d’Espagne, Dos Passos est sorti "fini". Il a son œuvre derrière lui. C’est tout le contraire pour Hemingway, qui était en panne sèche avant le conflit, et qui y trouvera matière à rebondir. L’affaire Robles/Dos Passos le hante lorsqu’il retourne à Key West. Il la digérera pour en faire un de ses plus beaux livres : Pour qui sonne le glas, un mausolée à la trahison.
Stephen Koch, Adieu à l’amitié. Hemingway, Dos Passos et la guerre d’Espagne (The breaking point. Hemingway, Dos Passos and the murder of José Robles, traduit de l’américain par Marie-France Girod), Grasset, 2005, 378 pages, 20,90 €
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