A very british gangster - la critique

Entre polar et drame social à la Ken Loach, un documentaire saisissant et troublant sur un parrain de la pègre de Manchester.

L’argument : Dominic Noonan, 37 ans, dont 22 en prison, est à la tête du clan le plus puissant de Manchester. Il règne en maître sur les gangs de la ville, a sa part dans tous les vols, les rackets, les trafics. Il est aussi pour les habitants du quartier un protecteur, un juge et un justicier. Pour la première fois, un parrain a accepté de se confier à un cinéaste. Dominic a ainsi intégré Donal MacIntyre au sein de son gang pendant trois ans. A very british gangster nous fait découvrir un monde où la violence et la pauvreté dominent, et où l’on ne fait plus appel à la police pour régler ses comptes. Drogue, kidnapping, torture, meurtre : vous aviez déjà vu tout ça au cinéma. Mais cette fois c’est vrai.

Notre avis : Voilà un documentaire saisissant ! Quelques années après The staircase [1] sort un nouveau documentaire fortement imprégné de fiction. Pendant des mois, un journaliste de télévision, réputé outre-Manche pour ses infiltrations périlleuses, a partagé le quotidien du parrain de la pègre mancunienne et de ses acolytes. Soit une bande de gamins de moins de vingt ans, prêt à tout pour leur protecteur. Lequel est aussi celui de la veuve et de l’orphelin. Dans la banlieue désolée dans laquelle il a choisi de continuer à vivre, ce rejeton d’une lignée de malfrats locaux a, à l’aide de ses sbires, bâti une immense fortune (cinq à six millions de livres) et su se faire respecter (voir les impressionnants enterrements). Il est une référence, et si l’on en croit ce que l’on voit, la population surendettée, dans un état de désespérance totale (digne des plus poignants Ken Loach), préfère recourir à ses services plutôt qu’à ceux de la police. C’est au fil de ces visites aux quatre coins des quartiers de briques si caractéristiques que Donal MacIntyre a patiemment recueilli les confessions du caïd et dressé un portrait dont il est peu de dire qu’il est complexe et ambigu.
Car Dominic Noonan a une sacré personnalité. Et si ses propos font froid dans le dos, surtout à la lumière de ses faits d’armes (parmi lesquels un chien décapité, une évasion et deux braquages le même jour, l’organisation d’énormes révoltes de prisonniers...), on reste saisi à la vision de son ancrage sur un territoire et la proximité avec une population désemparée. Apparaît alors toute la mesure de la différence entre l’image et le son. On a beau nous dire (mais peut-être pas assez encore, d’où un certain déficit de clarté) la dangerosité du personnage, ce que l’on en voit surtout, c’est une certaine bonhomie, des sourires, de l’écoute, de la compassion. De la roublardise aussi et le rôle qu’il joue, directement inspiré des films de genre, à coup de costards mal taillés et de collection d’uniformes divers et variés (ses garde du corps ressemblent à une milice). Sa fascination de lui-même aussi, à la limite de la mythomanie, qui l’a sans doute conduit à accepter d’être filmé.
On en ressort avec une impression d’extrême complexité, de système parallèle puissant, dont sont exclues toutes les autorités autres que celles des gangsters, et auquel il est bien difficile d’échapper. Une vraie mafia donc, approchée au plus près, qui ne laisse voir qu’une partie d’elle-même mais entrevoir des abîmes d’un glauque absolu. On pardonnera volontiers une facture un peu brouillonne (voix-off manquant de précision, réalisation un brin télévisuelle, choix musicaux plus ou moins convaincants) pour cette troublante plongée dans ces mondes mêlés, pour le pire.