L’imagination au pouvoir
Le 5 avril 2005
Axionov imagine une rencontre entre Catherine II et Voltaire dans un conte humaniste qui dénonce la barbarie.


- Auteur : Vassili Axionov
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche

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1764. Bienvenu dans une époque où se posait encore la question des rois-philosophes et des philosophes-rois ! Vassili Axionov imagine - c’est bien le mot - une rencontre entre Catherine II et Voltaire. Un conte humaniste qui dénonce la barbarie.
Vassili Axionov a suivi des études de médecine, ce qui, en soi, quand on est russe et qu’on a choisi d’embrasser depuis plusieurs décennies une carrière littéraire, reste une excellente nouvelle. Mais pourquoi rappeler tout cela, si ce n’est pour évoquer un écrivain qui compte. Car, en ce qui concerne son nouveau roman, seul le sous-titre, "Roman à l’ancienne", possède de l’importance. Il annonce la couleur. Pas question de reconstruire la société, de coller à la réalité, mais de raconter une histoire et de laisser libre cours à son imagination. Tout simplement. Et chez Axionov, elle est foisonnante, de Saint-Pétersbourg à Paris, en passant par une petite île de la Baltique, à cheval, à pied ou en bateau, à travers les villes, les flots démontés ou "les guerres voltairiennes", tout repose, ici, sur une seule attente, la rencontre entre Voltaire, "la conscience de l’Europe", et Catherine II, une tsarine qui, le temps d’une fiction, se veut, se croit, encore éclairée. Malgré quelques échanges épistolaires, cette fameuse rencontre n’a jamais eu lieu, bien sûr. Heureusement, un petit pied de nez à l’histoire n’est pas une raison suffisante pour s’interdire de lâcher la bride de ses fantasmes, surtout quand on crée un personnage qui en possède deux... de nez !
La narration baroque, picaresque si on veut lui donner une consonance plus littéraire, donne souvent le tournis. Elle se charge, dans un premier temps, de mener tout un petit monde à bon port, Nicolas et Michel, deux jeunes espions qui préfigurent le romantisme, Claudia, et Fiokla, les deux charmantes jumelles du grand électeur Magnus V, le général Afsiomski, mandaté pour préparer le rendez-vous au sommet, le baron von Figuine, figure énigmatique et proche de la grande Catherine, sans oublier Voltaire en personne. Jusque-là, le récit provoque donc des haut-le-cœur, à l’image des longs périples de l’époque. Puis, se pose pour laisser entendre la parole du Maître au cours, notamment, de deux monologues d’une rare force sur l’affaire Calas et l’amour de sa vie, la marquise du Châtelet. Et repart dans des délires proches du rêve, empreints de discours indirects qui versent parfois dans le monologue intérieur. Le tout avec humour, évidemment. Cette "salmigonderie" permet, enfin, à Axionov d’aborder une multitude de thèmes, l’amour, la vraie/fausse ambivalence du désir, la naissance plus ou moins accidentelle d’un grand Etat et d’une grande littérature, Dieu, la transition entre deux époques, l’une marquée par la raison, l’autre par sa remise en question, la tolérance... Toutes ces digressions visent un seul but, celui de rallumer la flamme des Lumières, ces libres-penseurs d’un passé (proche ou révolu ?) qui ne se sont donné qu’une seule mission : "Ecraser l’infâme".
Vassili Axionov, A la Voltaire, Actes Sud, 2005, 400 pages, 24 €