Le 7 octobre 2017
- Editeur : Isan Manga
Isan (« patrimoine », en japonais) propose depuis 2013 la publication de Kamen Raider un catalogue fondé sur le manga vintage et patrimonial, avec un soin tout particulier accordé à la conception matérielle des volumes. Nous sommes allés à la rencontre de Karim Talbi, co-fondateur avec Étienne Barral de cette maison d’édition qui s’apprête à développer son activité ces prochains mois.
Venez découvrir à travers cet entretien l’activité d’Isan Manga, jeune maison d’édition qui se concentre sur le manga patrimonial en proposant des titres variés et très soignés.
Avoir-Alire : Pouvez-vous nous présenter Isan Manga ?
Karim Talbi : Notre production se concentre autour du manga vintage. Isan signifie patrimoine en japonais. Nombreux sont les mangas que nous éditons qui ont connu un énorme succès au Japon, mais qui n’ont jamais été édités en France, ou alors de façon très confidentielle. On souhaite présenter des mangas à succès au public francophone. Après, Le principal critère de publication pour nous reste le plaisir que nous avons à éditer des titres qui nous plaisent.
Je dis nous car dans cette aventure, je suis associé à Etienne Barral, journaliste à Tokyo, qui s’occupe de négocier avec les éditeurs japonais. Nous nous sommes rencontrés alors qu’il cherchait à vendre des droits japonais en France. De mon côté, je m’occupe de tout ce qui se passe en France, depuis la signature des contrats jusqu’à la publication, en passant par la fabrication et la traduction.
Nous avons publié nos premiers titres en 2013. Depuis cette date, nous publions 3 à 4 livres par an. En 2018, nous avons décidé d’accélérer la cadence et de sortir davantage de titres, avec pour objectif d’arriver à 15-20 livres par an.
Pourquoi une telle accélération des titres proposés ?
Avec Etienne Barral, nous avons créé Isan Manga sur un coup de tête. Plusieurs titres que nous avons lancés ont bien marché, et cette aventure commune nous plaît davantage que les métiers que nous exerçons en parallèle.
Au départ, nous souhaitions surtout rééditer Kamen Rider, qui est une licence extrêmement populaire au Japon. Nous avons cherché à avoir les droits, et quand les Japonais ont vu la qualité formelle des livres que nous proposions, ils ont accepté notre projet. Obtenir les droits de Kamen Rider, qui est un véritable mythe au Japon, nous a ouvert beaucoup de portes là-bas. Des éditeurs japonais qui disposent de titres vintage nous ont contactés pour qu’on publie leurs titres en français. Nous avons tout d’abord hésité face à ces propositions, car publier demande des fonds importants. Ceci dit, on s’est aussi rendu compte que plus on sortait de livres, plus nous avions de visibilité sur le marché.
Quel est votre principal objectif en éditant ces vieux classiques du manga ?
Nous souhaitons avant tout faire découvrir de grands classiques du manga japonais au public français. Nous voulons rendre ces titres accessibles en France, en soignant tout particulièrement la fabrication de nos livres. Nous pouvons nous permettre d’éditer des mangas en beaux livres car nous sommes une petite structure, avec un seuil de rentabilité assez bas, tandis que les grandes maisons d’édition doivent vendre beaucoup de titres pour être rentables.
Notre objectif est également d’attirer un public peu familier avec l’univers du manga en lui proposant des titres différents, d’autant plus que les titres édités dans les années 1960-1980 sont souvent très inspirés du modèle franco-belge.
Enfin, nous voulons créer des livres qui durent dans le temps et qui puissent se transmettre. C’est pour cela que nous proposons des livres cousus avec une couverture cartonnée.
Vous pouvez nous présenter quelques auteurs classiques de votre catalogue ?
Nous avons plusieurs auteurs très célèbres au Japon.
Ishinomori, d’abord, qui a publié Kamen Rider. On met souvent cet auteur en concurrence avec Kezuka, car les deux sont de la même génération. Si Tezuka a fini par être reconnu en France - il sera d’ailleurs célébré lors du prochain festival d’Angoulême à travers une exposition -, Ishinomori a été complètement oublié chez nous, alors même qu’il a formé et inspiré un très grand nombre d’auteurs japonais et que Kamen Rider (1971) est un best-seller incontournable au Japon. Ishinomori est l’un des créateurs du manga moderne avec Tezuka, en investissant en particulier le genre de la science-fiction. Ainsi Kamen Rider raconte l’histoire d’un homme transformé en cyborg par une organisation criminelle.
Couverture de l’édition française de Kamen Rider, grand classique du manga japonais méconnu en France - ©Isan Manga pour l’édition française
Gô Nagai est un autre auteur de notre catalogue très célèbre au Japon. C’est un élève de Tezuka. Goldorak est son œuvre la plus connue en France, mais il est également l’auteur de bien d’autres titres de grande qualité, comme Cutie Honey, que nous éditons. Nous prévoyons également de sortir bientôt un nouveau titre de cet auteur.
Dans un tout autre genre, nous éditons également le Disciple de Doraku, d’Akira Oze, un livre plus récent mais qui parle du rakugo, une discipline japonaise traditionnelle. Il s’agit d’une pièce de théâtre où le comédien, muni uniquement d’une pièce de tissu et d’un éventail, joue tous les rôles sans jamais quitter la scène. C’est une discipline très impressionnante qui fait partie intégrante du patrimoine japonais. Le manga connaît un grand succès au Japon.
Couverture du Disciple de Doraku - ©Isan Manga pour l’édition française
Quel est votre principal public ?
Notre public varie beaucoup selon les titres. Nous éditons des adaptations littéraires en manga, comme Madame Bovary. J’ai déjà eu affaire à des parents qui veulent absolument acheter une de nos adaptations pour intéresser leurs enfants. L’inconvénient pour nous, c’est que nos titres restent cantonnés au rayon manga dans les grandes enseignes, y compris pour nos titres littéraires, ce qui limite nos possibilités en terme de clientèle.
Les connaisseurs de mangas forment logiquement la majeure partie de notre lectorat. Ces lecteurs apprécient notre politique d’édition. Pour Kamen Rider, on a également des adolescents qui ont entendu parler de ce titre en lisant GTO ( NDLR : Dans GTO, Onizuka s’identifie à Takeshi Hongô, le personnage central de la série, également motard).
Cependant, on n’a pas du tout les mêmes acheteurs en salon et en librairie. Nos meilleurs ventes ne sont pas en librairie : Madame Bovary, Gwendoline se vendent en salon, mais assez peu en librairie.
Vous éditez des adaptations littéraires en manga en proposant dans le même livre le roman et son adaptation. Quels sont vos objectifs avec des livres comme Sherlock Holmes , Madame Bovary ou Roméo et Juliette ?
Nous voulons rendre disponible ces ouvrages à un public jeune. Certains enfants sont ravis d’avoir ces romans avec leur adaptation en bande dessinée. Avec cette collection littéraire, nous souhaitons attirer un public qui soit ne lit pas de mangas, soit ne lit pas de roman. Notre démarche est de les amener vers une autre culture. Nous enrichirons d’ailleurs cette collection en éditant l’an prochain une adaptation du Fantôme de l’opéra.
Qu’apporte la réinterprétation en manga de ces grands classiques de la littérature contemporaine ?
Je pense que ces adaptations vont attirer un public vers la littérature, et certains grands lecteurs de littérature vers le manga. Il s’agit aussi de montrer à ce dernier public que le manga, contrairement aux clichés, ne se limite pas à des histoires empreintes de violence.
Planche tirée de l’adaptation de Madame Bovary en manga, par Yumiko Iragashi. Dans sa version française, le titre comprend à la fois le roman de Flaubert et son adaptation - ©Isan Manga pour l’édition française
En parcourant vos livres, on se rend compte du souci de qualité formelle, qui tranche avec la majorité de la production. Qu’est-ce qui vous motive dans ce sens ?
J’aime les beaux livres qui durent et font bonne figure dans une bibliothèque. Quand j’étais responsable de la production chez un autre éditeur, j’avais un budget à ne pas dépasser, et cela me frustrait. On cherchait à faire des économies dans tous les sens, en rognant sur la qualité du livre. J’ai désormais la liberté de réaliser les livres comme je veux.
Quelles seront vos prochaines publications ?
Nous venons de sortir Gun Dragon, de Terasawa, un titre de science-fiction qui date de 1999 et qui réussit la performance de mêler dessin et photographie ! L’héroïne est une actrice photographiée et ajoutée dans un décor 3D. L’histoire se déroule en 2030, dans un univers où les frontières de l’espace sont ouvertes et où différentes populations extraterrestres ont la possibilité de se rendre sur Terre. Toutefois, elles ont obligation de rester cantonnées en un seul endroit, l’île de Deijma, au large d’Okinawa. La rencontre entre des espèces très différentes crée immanquablement des tensions sur cette île, ce qui rend nécessaire la création d’une force de police spéciale, appelée Gun Dragon, composée à la fois d’êtres humains et d’extraterrestres. Le manga se concentre sur l’enquête de l’un d’entre eux, le policier Σ.
Couverture de Gun Dragon, dernier titre en date du catalogue Isan Manga - ©Isan Manga pour l’édition française
Vous pouvez suivre l’actualité d’Isan Manga sur leur site internet, qui propose également la vente en ligne des titres de leur catalogue.
Un grand merci à Karim Talbi pour sa gentillesse et sa disponibilité.
Galerie Photos
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