Le 15 juin 2015
Un chef-d’œuvre du western, donc du cinéma, qui multiplie les niveaux de signification tout en reposant sur une narration forte et rigoureuse.
- Réalisateur : Delmer Daves
- Acteurs : Glenn Ford, Felicia Farr, Van Heflin, Henry Jones, Leora Dana
- Genre : Western, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 1h32mn
- Date télé : 8 avril 2022 21:10
- Chaîne : France 3
- Titre original : 3:10 to Yuma
- Date de sortie : 15 novembre 1957
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Résumé : Suite à l’attaque d’une diligence, Ben Wade, un hors-la-loi bien connu de l’Arizona, est fait prisonnier. Le shérif décide de remettre le malfaiteur aux mains de la justice mais doit agir en toute discrétion pour ne pas croiser la bande de Wade, bien décidée à délivrer leur chef. Dan Evans, un fermier endetté, se porte volontaire pour accompagner le prisonnier jusqu’à Contention City, où les deux hommes doivent prendre le train de 3h10 pour Yuma...
Critique : Le film commence par un plan sur une terre aride ; puis la caméra s’élève et cadre une diligence dans le lointain. Un peu plus tard, la même diligence arrêtée, la poussière se dilue et révèle la bande de Ben Wade qui l’attaque. À la fin, ce sera la fumée du train qui dissimule la même bande. Ces quelques exemples sont à la mesure de l’intelligence visuelle et intellectuelle du film : la beauté n’y est pas gratuite, elle sert constamment le propos et tisse un fin réseau de significations et d’échos.
Mais répétons-le, 3h10 pour Yuma est d’abord beau : les cadrages léchés, les travellings ascendants ou descendants, les déplacements dans le champ, les jeux sur les ombres : tout est pensé et rigoureux. Loin cependant d’être un pur artifice formel, cette recherche esthétique forme la colonne vertébrale d’une narration sobre et puissante. Delmer Daves y développe sans pesanteur une réflexion fine sur l’honneur et la dignité, à travers l’opposition entre Dan le fermier et Ben le bandit, qui se découvrent plus proches qu’ils ne le croyaient.
Si selon le vieil adage hitchcockien, plus réussi est le méchant, meilleur est le film, 3h10 pour Yuma est excellent ; Glenn Ford prête ses traits burinés à un personnage complexe, qui apparaît d’abord comme un tueur froid, un charmeur cynique, pour se transformer en être ambigu, et ce jusqu’au final surprenant. Il ne fait pas que s’opposer à Dan, il le transforme. D’abord incapable d’agir, le père et mari aimant se mue en justicier incorruptible sous la pression provocante du tueur. Mais rien n’est simple : les actions échappent à la simple causalité, et si Dan va au bout de sa mission malgré les appels répétés à l’abandon (on pense ici bien sûr au Train sifflera trois fois), c’est peut-être autant par sens du devoir que par jalousie ou désir de vengeance. De même, il est difficile de savoir si Ben rêve sincèrement d’une vie paisible, ou s’il pense vraiment tuer par obligation. Delmer Daves joue des oppositions entre eux (l’un sifflote quand l’autre transpire) comme des ressemblances, notamment dans la séquence de la chambre, en filmant un champ-contrechamp qui se double d’un travelling avant.
Dans ce western mâtiné de film noir, l’atmosphère joue un grand rôle et repose autant sur l’interprétation sobre que sur les cadrages ou les lieux. Enfermant ses personnages à deux reprises, Daves et son chef opérateur Charles Lawton Jr choisissent de travailler sur l’ombre, soit en sous-éclairant la maison de Dan, soit en surchargeant la chambre d’hôtel d’un entrelacs d’ombres et de grilles qui les emprisonne. Là encore on est abasourdi par la recherche formelle et le contraste avec les scènes d’extérieur, souvent lumineuses, même si certains choix (l’ombre des chevaux au début, le passage de l’enterrement) nuancent cette impression.
André Bazin qualifiait de « surwestern » ces films qui se chargent de connotations supplémentaires (psychanalytiques, morales), à l’image du Train sifflera trois fois ou du Gaucher. Si 3h10 pour Yuma peut se ranger dans cette catégorie, c’est que son récit linéaire, simple en apparence, se double d’une réflexion éthique. Et c’est toute la subtilité du film que de ne jamais s’appesantir sur cette méditation : elle procède de l’action autant que des dialogues ou de l’interprétation. Mais surtout elle se répartit entre les différents personnages, Butterfield, le riche patron, qui n’ira pas jusqu’au bout, ou Alex, qui conquiert sa dignité en mourant (on pense à cet autre alcoolique cherchant sa rédemption dans la lutte, Dean Martin dans Rio Bravo). Les deux rôles féminins apportent également leur pierre à cet édifice moral, chacune d’un côté, chacune forte et digne.
N’ergotons pas davantage : 3h10 pour Yuma est un chef-d’œuvre du genre, et un chef-d’œuvre tout court. Daves en faisait son western préféré parmi ceux qu’il avait tournés, et l’on comprend pourquoi. La réussite éclate du début à cette fin lyrique, ni attendue ni mièvre. Et le remake qu’en fit James Mangold l’éclaire sans l’éclipser.
Les suppléments :
Outre une bande-annonce d’époque, avec ses slogans en lettres géantes et sa voix off dramatisante, le Blu-ray propose deux remarquables documentaires. Delmer Daves par Michael Daves, première partie est un hommage d’un fils à son père, portant à la fois sur sa vie et sur le film (23 minutes). The Shadows of Noir porte un regard acéré sur 3h10 pour Yuma : Phedon Papamichael, chef opérateur du remake réalisé par James Mangold, y analyse la lumière à travers quelques séquences.
L’image :
Hormis quelques fourmillements, en particulier dans les extérieurs, la copie restaurée 2K est magnifique de précision et de nuance, jusqu’au grain de la peau dans les gros plans.
Le son :
Les deux versions originales (DTS-HD MA 5.1 et 1.0) proposent un son pur, sans parasite ni souffle. La VF (5.1) a en revanche mal vieilli et les dialogues sont un peu étouffés.
– Sortie blu-ray : le 24 juin 2015
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