Half of what I say is meaningless
Le 27 avril 2012
Neuf ans après Tarnation, Jonathan Caouette allonge sa mère sur le divan qu’il n’a lui-même jamais quitté et nous invite à revenir l’ausculter. On veut bien à condition qu’il couvre un peu ce surmoi qui dépasse de son peignoir.
- Réalisateur : Jonathan Caouette
- Acteurs : Jonathan Caouette, Renée Leblanc
- Genre : Drame, Documentaire
- Nationalité : Français
- Durée : 1h27mn
- Date de sortie : 2 mai 2012
- Festival : Festival de Cannes 2011
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Neuf ans après Tarnation, Jonathan Caouette allonge sa mère sur le divan qu’il n’a lui-même jamais quitté et nous invite à revenir l’ausculter. On veut bien à condition qu’il couvre un peu ce surmoi qui dépasse de son peignoir.
L’argument : En compagnie de sa mère, Renée, qui souffre d’importants troubles mentaux, le réalisateur Jonathan Caouette entreprend un voyage à travers les États-Unis, pour la déménager de Houston à New York. Les obstacles qu’ils rencontrent sur leur route sont entrecoupés de retours dans le temps qui donnent un aperçu de cette relation mère-fils hors du commun. A travers un montage musical et parfois psychédélique, alternant réalité et imaginaire, "Walk Away Renée" traite de l’amour, du sacrifice et de la perception de la réalité qui nous entoure.
Notre avis : Jonathan caouette est de ceux qui fraient avec le vent. Mais voilà, il fraye, il fraye, et il ne se rend pas compte qu’il s’est transformé en éolienne. Lorsqu’avec Tarnation, il faisait souffler ses petites brises contraires sur la naphtaline du cinéma ricain, à grands renforts d’autofiction possédée et d’archéologie au caméscope, personne ne doutait de son utilité (qualité qui n’est pas toujours vendue avec du talent). On en trouvait même certains pour crier à la bourrasque, voire au génie cyclonique. À cette époque, Jonathan, escorté par l’illustre girouette Gus Van Sant, était une éolienne de compèt, une éolienne de tapis rouge. Mais avec Walk Away Renée, docu-fiction asthmatique, Caouette nous fait penser à ces grandes choses en souffrance qu’on trouve au bord des autoroutes lorsqu’elles ne tournent plus. Seulement, les éoliennes ont ceci de particulier qu’elles feront toujours débat. C’est d’ailleurs au péril des fossés et des bandes d’arrêt d’urgence que ceux à qui on a infligé une projection de l’objet vont s’écharper dans leurs twingos, cherchant à vanter son étrange beauté post-industrielle ou exigeant au contraire qu’on rase ce pylone incertain qui défigure le paysage et pourrit les photos.
C’est tout le problème du travail de Caouette : il est extrêmement difficile à juger, puisque totalement inséparable de son auteur. À force de se filmer le nombril, ou de remonter le cordon pour shooter celui de maman, l’autre JC (le premier étant Jean Cau) cristallise forcément les critiques sur sa petite personne, encourant de facto le délit de sale gueule ou le procès d’intention. Et malgré la relative immunité des inventeurs (ou, du moins, des défricheurs) dont il bénéficie, le cinéma de la bête fait partie de ceux dont on remet en cause l’ambition globale avant de lui analyser les rouages. En fait, à l’instar de ces terroristes de la pudeur qui exposent leurs étrons aux quatre coins des FIAC, Caouette catalyse la vindicte des adorateurs populistes de Chris Barratier comme celle des exégètes revenus de tout, même des courts-métrages de Tarkovski. Aussi, arrêtons de parler autour de ses films pour mieux en forcer la serrure, au risque de faire un peu trop rapidement l’impasse sur les raisons qui ont poussé Jonathan à rejouer les fossoyeurs de son propre clan.
Parce qu’on pourrait ergoter sans fin sur la paresse artistique, la crise d’inspiration ou l’exhibitionnisme pathologique du bonhomme, il va nous falloir chercher des réponses dans cette superposition d’images épileptiques qu’il nous ressert aujourd’hui. Et peut-être nous fournit t-il lui-même la clé, face DV, après une heure de film : « Les malades mentaux vivent dans un autre espace, je veux prouver qu’il existe ». Ainsi donc, filmer la descente aux enfers médicamenteux de maman (depuis les origines de la maladie), et mettre en scène sa propre détresse face à cet enlisement serait donc une tentative de réconciliation par l’image de ces espaces logiquement hermétiques et imperméables que sont le passé, le présent, la démence, le réel et le fictionnel. L’idée étant de faire de l’écran le terrain d’entente définitif entre des notions que Caouette traite comme différentes strates d’un univers multiple et discontinu (comme son film). Mais Jonathan n’est pas un mystique, et pour appuyer sa théorie de la coexistence de plusieurs dimensions au sein d’un réel que nous sommes éduqués, selon lui, à ne voir que partiellement, il n’hésite pas à convoquer des documentaires tout à fait scientifiques sur l’existence possible d’un « multivers » (oui, vous pouvez regarder sur Wikipedia, mais bouclez bien votre ceinture mentale avant parce que tout ça est vertigineux). Bon, vous êtes également autorisés à y voir l’appel à l’aide d’un gamin qui cherche à communiquer avec sa mère ou tout simplement l’envie de réfléchir à la fonction du cinéma (l’idée de représentation du réel finalement plus véridique que le réel lui-même puisqu’elle en assume les mensonges. Mais je vous en prie, Guy Debord, retournez dormir).
Seulement, au-delà de ce discours que l’on pense aussi sincère qu’excitant, il y a quand même un film à voir, et là, nous touchons au nœud du problème. Bien sûr, dans un souci de cohérence que nous ne manquerons pas de saluer entre deux appels à l’aide, la forme composite du film colle totalement avec le fond : Diapos de famille, archives vidéo, séquences contemporaines et images abstraites se succèdent en fondus déchainés pour illustrer la vaste purée cosmico-temporelle que Caouette tente de nous faire avaler directement à l’entonnoir. Qu’il ne veuille pas faire du beau, c’est une chose, mais de grâce, pourquoi nous infliger une heure et demi de mashups hideux et contre-nature ? Pourquoi empiler ces couches de pellicules que le dieu des pigments ne voulait certainement pas voir assimilées ? Pourquoi avoir confié son logiciel de montage à un orang-outang sous acide ? Pourquoi, enfin, avoir choisi de traiter une séquence de rêve par une plongée dans un Google Earth pixellisé ? L’amateurisme a ses charmes et ses limites, d’accord, mais il requiert une exigence infinie et une élégance naturelle. Surtout lorsqu’il verse dans le Do it yourself hallucinatoire. Finalement, ce n’est pas tant l’idée de la réalisation que la réalisation elle-même qui pêche chez Caouette. Parce qu’on veut bien croire que les images de notre passé se substituent au passé lui-même, on veut bien croire aussi que leurs surimpressions ne sont pas forcément montées comme du Terrence Malick, mais pitié, faites que ce qui danse sous nos crânes ne ressemble pas à Walk Away Renée.
Pour finir, on ne peut que regretter la gaucherie générale d’un projet qui contient pourtant quelques séquences sublimes (notamment celle où le vieil Adolph, mentalement en partance, nous fait un incroyable bulletin météo-métaphysique). En marge de celles-ci, on trouve aussi des « scènes » dignes d’un épisode perdu de Confessions intimes. C’est là tout le péril de ce film honnête mais foncièrement impuissant.
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