Le 22 juin 2016
Capra est touché par la grâce dans ce chef-d’œuvre tendre, drôle et gentiment iconoclaste.
- Réalisateur : Frank Capra
- Acteurs : James Stewart, Lionel Barrymore, Edward Arnold
- Genre : Comédie, Romance, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Durée : 2h07mn
- Titre original : You can't take it with you
– Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur 1938
Résumé : Après avoir fait fortune, le vieux Vanderhof est devenu un sage en pensant que l’argent ne fait pas le bonheur. Il vit entouré de ses petits-enfants et de ses domestiques, pour le moins originaux. Mais voila que sa petite-fille Alice tombe amoureuse de Tony Kirby, le fils d’un homme d’affaires. Si Alice et Tony s’aiment, ce n’est pas le cas des Vanderhof et des Kirby, qui n’ont pas réellement la même conception de la vie.
Notre avis : Vous ne l’emporterez pas avec vous vient dans la carrière de Capra après New York-Miami (1934), L’extravagant monsieur Deeds (1936) et Horizons perdus (1937), autant dire dans cette faste période d’avant-guerre qui le voit enchaîner les chefs-d’œuvre à la manière d’un métronome. Il y aurait pourtant matière à détester ce film à la morale simpliste (l’argent ne fait pas le bonheur) et emprunt d’une religiosité écœurante. On se sentirait tellement supérieur à regarder d’un œil cynique cette fable si naïve. De fait, quand on la revoit une ixième fois, dès les premières images dévoilant un Wall Street caricatural, on se dit que non, ce coup-ci, on ne se fera pas avoir. On se prépare à analyser froidement le rapprochement de ces deux mondes, d’un côté la finance et de l’autre une famille d’hurluberlus, sans tomber dans le piège d’un sentimentalisme facile. Mais rien n’y fait. De nouveau, on rit, on pleure, on partage les déboires d’un James Stewart amoureux de la belle Jean Arthur, la douce philosophie de l’épatant Lionel Barrymore. De nouveau on s’amuse des inventions burlesques comme le panneau « Home sweet home » qui ne cesse de se décrocher au rythme des explosions de pétards. De nouveau on larmoie devant la prise de conscience du capitaliste Kirby.
Comment comprendre cet attrait irrésistible ? Quand tant de comédies des années 30 ont l’air au mieux de pièces de musée, qu’est-ce qui fait que Vous ne l’emporterez pas avec vous demeure une inébranlable leçon de vie qui regonfle et rend heureux ? On a envie de parler d’alchimie, de mystère et de s’en tenir là. Néanmoins, c’est un peu court. Il nous semble d’abord que Capra, en éloignant tout second degré et toute roublardise, convainc par une foi en l’homme par delà les institutions (voir la critique du militarisme, des impôts, du gouvernement, de la finance) et les idéologies : Vanderhof se moque de la maladie des « -ismes » et la révolution russe est un sujet de plaisanterie. Prenant parti pour l’humain, il filme à sa hauteur des personnages croqués avec une facilité déconcertante ; le moindre petit rôle trouve une grâce inattendue, portée par un scénario inventif autant que par une galerie d’acteurs remarquables : que ce soit Donald Meek en employé créateur de jouets ou Mary Forbes en grande dame coincée, tous participent d’une vision colorée, incroyablement vivante. Observez comment, dans l’inénarrable séquence du procès, Capra fait du juge, rôle archi-secondaire, le parangon d’un humanisme doux, qui le conduit même à participer à la quête. Par touches légères, le cinéaste construit un monde pétri de bons sentiments qui touche par delà les années.
On retient en général du film les portraits excentriques : la fille danseuse épouvantable, la mère qui écrit parce qu’un jour on a livré par erreur une machine, le chorégraphe russe qui ne pense qu’à manger. C’est oublier que, dans les recoins de cette joie de vivre mille fois exprimée, se lovent des cris de détresse qui jettent une importante part d’ombre : que ce soit la « racaille » qui se rue sur un cigare ou la silhouette pathétique de Ramsey, ruiné par Kirby, Capra n’oublie pas les laissés pour compte d’une société cruellement inégale. On sent une véritable compassion pour ces personnages qui apparaissent en arrière-plan ; de même la fin présente-t-elle un Kirby isolé dans son bureau, avec un réseau d’ombres portées qui l’enserrent.
Le grand plaisir du film réside évidemment dans la peinture d’extravagants doux-dingues qui se retranchent de la société pour vivre leur passion à la manière d’enfants qui « joueraient à être ». Le principe de base, et c’est sans doute aujourd’hui le plus iconoclaste, est le refus de l’utilitaire ; en ce sens, on retrouve l’enfance dans l’opposition entre le principe de réalité (la banque, les armes, la productivité) et le principe de plaisir (la danse, les jouets, les fléchettes). Capra a pris soin de ne pas viser des génies méconnus : la mère semble écrire des suites de clichés et la fille n’avoir qu’un lointain rapport avec des gestes harmonieux. Qu’importe : ces êtres sont dans l’instant, dans l’ « amusement » (le mot revient plusieurs fois) et songent peu à faire fructifier leurs hobbies. Là encore le cinéaste ne va pas trop loin : pas d’appel à la révolution ou au communisme ( le chorégraphe russe rappelle que tous ses amis sont morts) et si la solidarité joue à plein à plusieurs reprises, quand Alice s’enfuit, la famille est prête à vendre sa maison et à laisser tomber le voisinage expulsé. Plus qu’un message politique, c’est une sorte de morale égoïste qui se dégage du film : il faut refuser la routine, savoir faire demi-tour : le grand-père a simplement un jour cessé de travailler comme le fera Kirby, dans un ascenseur. Si Capra semble condamner le capitalisme dans ce qu’il a d’aliénant, on apprend au détour d’un dialogue que le personnage interprété par Lionel Barrymore vit de son expertise dans la philatélie. Vivre à côté soit, mais sans rejeter le système, ou les aides dont parle le Noir.
On le voit, du point de vue politique, la ligne choisie tient plus du coup de griffe moralisant que de l’engagement. On a plaisir à voir attaquer les impôts (délicieuse scène de sa justification), mais tout se termine par une prière et, somme toute, un retour à l’ordre. Ce qui importe, c’est l’humain et l’amour. Reste que les dialogues savoureux, l’impeccable scénario de l’habituel complice Robert Riskin, l’interprétation hors-pair d’acteurs au sommet de leur art (outre ceux cités plus haut, il faut souligner la prestation de Stewart en amoureux transi), la sobre mise en scène de Capra, font de Vous ne l’emporterez pas avec vous une rêverie tendre et drôle, infiniment poétique, et qui se déguste avec des yeux d’enfants.
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Frédéric Mignard 22 juin 2016
Vous ne l’emporterez pas avec vous - la critique du film
Une merveille de comédie américaine. un très grand moment de bienveillance humoristique comme seul les états unis en étaient capables dans les années 30-40.