Cours, Katja, cours !
Le 10 décembre 2018
Certains y verront un hommage vibrant aux victimes d’une attaque terroriste, d’autres dénonceront une récupération indéfendable, dans tous les cas, Utoya, 22 juillet est surtout l’occasion de théoriser sur la place de la caméra, et en cela c’est une réussite cinématographique catégorique.
- Réalisateur : Erik Poppe
- Acteurs : Andrea Berntzen, Brede Fristad, Elli Rhiannon, Müller Osbourne
- Genre : Drame, Thriller, Épouvante-horreur
- Nationalité : Norvégien
- Distributeur : Potemkine Distribution
- Durée : 1h33mn
- Titre original : Utøya 22. juli
- Date de sortie : 12 novembre 2018
- Festival : L’Étrange festival 2018
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Résumé : "Utoya 22 Juillet" retrace les attentats d’Utoya, en Norvège lorsque le terroriste d’extrême droite Anders Behring Breivik avait fait 77 morts à Oslo et sur l’ile d’Utoya en 2011. C’est justement sur l’ile norvégienne que se déroule le film. Plongés dans la peau de Kaya, militante des jeunesses travaillistes, les spectateurs vivent de l’intérieur l’interminable horreur telle qu’ont pu la vivre les nombreux militants prisonniers sur l’ile d’Utoya. Avec "Utoya 22 Juillet", le photographe Erik Poppe réalise le premier film sur le massacre, ce qui n’est pas sans rappeler des projets comme "Elephant" de Gus Van Sant au sujet de la tuerie du lycée de Colombine. Après un plan-séquence de quelques instants sur l’explosion de la bombe d’Oslo, la caméra suit Kaya pendant les 72 minutes que dura la traque du terroriste sur l’ile d’Utoya.
- © 2018 Marc Bruckert -Tous droits réservés.
Notre avis : Que faire après un attentat ? « Certainement pas filmer ses victimes se faire tuer » s’empresseront de répondre les détracteurs de ce qu’a entrepris Erik Poppe. Une proposition qui, dans un premier temps pose pourtant directement cette question morale en filmant des jeunes qui apprennent l’explosion d’une bombe à cinquante kilomètres de là. Mais, très rapidement, le film se transforme en quelque chose se voulant être une dénonciation politique de la violence de cette Extrême Droite qui connaît un regain de succès électoraux dans toute l’Europe. Or, les accusations de complaisance envers cette violence qui lui tombent dessus ne sont pas sans rappeler celles qu’avait connues Gus Van Sant quand, quinze ans plus tôt, il avait filmé une reconstitution de fusillade dans un lycée américain. Preuve que la représentation de tels événements reste taboue, si elle ne passe pas par le prisme d’une narration romancée ou d’une figure héroïque. Poppe ne pouvait pas l’ignorer et savait qu’il s’exposait à une violente controverse. Il est donc impossible – à moins peut-être d’en discuter avec lui – de savoir si sa volonté de profiter de ce film-hommage pour s’exercer à un exercice de mise en scène audacieuse doit être perçue comme une marque de courage ou de cynisme. Mais, au-delà de cette inextricable question morale, son travail permet également aux spectateurs que nous sommes de titiller le regard que nous pouvons avoir sur la notion d’horreur, au sens le plus large du terme.
Sans doute est-il dommage que cela ait été fait sur la reconstitution de ce fait divers sanglant, car il aurait été strictement le même dans le cadre de n’importe quelle fiction se revendiquant comme un slasher, mais l’utilisation d’un plan-séquence qui est fait est un travail passionnant sur la question du point de vue. Tels qu’ils étaient utilisés dans Elephant, les plans-séquences suivaient différents personnages et nous permettaient de couvrir plusieurs points de vue. Il s’agissait de travellings soignés, qui ajoutaient à la froide inhumanité du dispositif. Ici, le plan-séquence est unique et filmé à la main. Et pourtant cette subjectivité ne se justifie pas (ni par un point de vue à la première personne, façon Hardcore Henry, ni par un found footage, façon Cloverfield), ce qui laisse le spectateur dans une position particulièrement inconfortable. On est littéralement au plus près de la jeune Katja, tandis que cette caméra qui la suit avec une certaine maladresse joue avec notre frustration de ne pas pouvoir briser ce quatrième mur.
- Copyright Potemkine Films
Le pouvoir d’immersion diégétique de ce dispositif visuel qui biaise notre champ de vision est encore renforcé par le mixage sonore qui nous donne l’impression d’entendre des coups de feu et des cris de panique venant de tous les côtés. Quand la menace semble omniprésente dans le hors-champ, l’épouvante est automatiquement amplifiée. On en arrive à douter de ce que l’on sait déjà, c’est à dire qu’Anders Breivik était seul, et à pleinement partager la peur des personnages à l’écran qui craignent de croiser la route de leurs assaillants. Le fait de ne pas « les » voir joue également de manière sadique avec nos attentes de spectateurs, conditionnés par le cinéma à voir la violence de manière frontale. L’inconfort de cette place de la caméra est en effet cruellement renforcé lorsque le spectateur se retrouve tiraillé entre cette peur viscérale et une culpabilité plus ou moins consciente d’être malgré nous frustrés de ne pas en voir un peu plus.
L’autre conséquence directe du fait d’être filmé via un plan-séquence est l’unicité de la temporalité. Les soixante-quinze minutes que dure cette fusillade paraissent terriblement longues, et c’est pour cela que le scénario a intérêt à assurer du début à la fin. Celui-ci, par son réalisme, parvient à créer des scènes bouleversantes (l’agonie d’une jeune fille, qui participe à nous rappeler que nous ne sommes pas dans un film d’action) et angoissantes (la scène dans la tente suscitera assurément plus de frayeurs que tous les films de genre vus cette année). Et même la relation amoureuse qui nait dans les dernières minutes et qui, dans n’importe quelle fiction, serait jugée mièvre et impromptue, parvient ici à apparaître comme une source de tendresse salutaire. Face à la peur de la mort, toutes les émotions sont amplifiées, et si Erik Poppe réussit à en jouer aussi bien, c’est que son film est – quand bien même que cela puisse renforcer les accusations de ses détracteurs d’être « malsain » – une pure réussite formelle.
- Copyright Potemkine Films
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