Un jeu risqué - la critique du film

Notre avis : Jacques Tourneur est surtout réputé pour ses films fantastiques à la RKO (La féline, Vaudou), qui ont gardé leur aura jusqu’à aujourd’hui ; on connaît moins ses westerns, perles souvent chéries par les amateurs du genre, que ce soit Le passage du canyon, Le juge Thorne fait sa loi ou ce Jeu risqué, traduction bizarre du Wichita original. Et pourtant, le titre avait sa raison d’être : Wichita, c’est la ville vers laquelle convergent les cow-boys du début ainsi que Wyatt Earp, et dans laquelle l’action va se dérouler. Mais c’est aussi le symbole d’un affrontement, dans un monde neuf (les constructions sont de tous les extérieurs), celui de la loi contre la barbarie, thème qui n’est pas sans rappeler L’homme qui tua Liberty Valance de John Ford. La barbarie, c’est la coutume de mettre la ville à sac quand on y parvient, de boire jusqu’à plus soif, de tirer des coups de feu au risque, comme cela arrive dans le film, de tuer un enfant. La loi, c’est d’interdire et de contrôler la barbarie. Certes, la vérité historique n’a que peu à voir avec ce western, mais la réflexion sur le port d’armes, notamment, puisque Earp les fait interdire à Wichita, a gardé toute son actualité : il faut dire que Tourneur n’hésite pas à montrer la sauvagerie des cow-boys lâchés dans les rues, mais il dénonce aussi l’autre violence, celle des intérêts financiers qui corrompent et sont complices de la brutalité.
Au fond Wichita est une utopie, celle d’un monde paisible à la frontière délimitée (le panneau à l’entrée, vu de nombreuses fois), une sorte de paradis : Earp lui-même ne songeait qu’à faire des affaires, et ne se retrouve shérif que parce que l’enfant a été tué. Mais il tente de changer la situation : proposer des élections, attirer le maire dans son sillage (il a un nouveau programme : « la loi et l’ordre), interdire les armes. Ce faisant, comme une malédiction, il attire à lui des haines, et des morts (la mère de la femme aimée, tuée dans une fusillade à travers une porte). Malgré une « happy end » convenue, presque caricaturale, Un jeu risqué laisse un goût amer : la violence a contaminé la ville, et peut-être qu’elle est consubstantielle à la fondation de la cité ; elle ponctue régulièrement le film, mais sans héroïsme. Tourneur préfère la sécheresse au lyrisme, à l’instar du jeu de Joel McCrea qui incarne un Earp tout en retenue. Cette sobriété n’exclut pas la beauté : le travail du cadre montre une utilisation intelligente du cinémascope. La composition est toujours soignée, comme le prouvent nombre de plans, parmi lesquels, presque au hasard, les funérailles de Mme McCoy résumées par la tombe qui sépare la famille éplorée du groupe, ou le départ des cow-boys s’éloignant du corps qui occupe quasiment toute la largeur de l’écran.
On admire la concision du film, sa progression (les différentes interventions du héros dans des actions violentes), son rythme (savante alternance de tensions et de pauses), ses trouvailles (l’apparition des frères Earp) et une interprétation à la limite de l’austérité : les seconds rôles, en particulier, parmi lesquels on reconnaît des figures familières, ne déçoivent jamais. Et même dans un personnage effacé, Vera Miles éclaire de sa beauté classique un film qui ne l’est pas moins. Alors, malgré, on l’a dit, une fin expédiée (les amoureux s’éloignant dans le coucher de soleil…) Un jeu risqué est un grand western, qui mériterait une reconnaissance plus large.