Un fil à la patte

Dans ce "bal des toqués", Deville fait danser ses acteurs dans la ronde joyeusement cruelle de la vie. Un enchantement de tous les instants.

L’argument : Il y a foule chez Lucette : son amant Bois d’Enghien, qui cherche à concilier son goût pour la jolie chanteuse et son prochain mariage avec Viviane ; son mari, toujours à court d’argent ; Bouzin, un clerc de notaire qui se croit doué pour la musique ; le critique Fontanet à l’haleine rédhibitoire... Tout ce petit monde, de quiproquo en aventure, mène une curieuse danse qui crée et défait les liens.

Notre avis : Il fallait bien toute la finesse de Michel Deville pour adapter du Feydeau sans tomber dans les travers, soit du théâtre filmé, appuyé et sans originalité, soit de la libre adaptation, en perdant au passage la saveur de la pièce d’origine. Les risques étaient d’autant plus grands avec du vaudeville. Or, ce qu’il y a de bien avec Deville, c’est qu’il reste fidèle à la source du texte et à son esprit, le théâtre - dont la plupart de ses films sont d’ailleurs empreints - mais en fait du vrai cinéma. Il utilise avec doigté toutes les ressources de sa caméra pour faire parler cinématographiquement le texte (adapté avec intelligence par Rosalinde Deville) et en tirer de nouvelles interprétations, pour faire virevolter ses acteurs, pour capter les lumières et les ambiances.
Alors, tout concourt à créer une osmose de légèreté sans jamais se perdre dans le superficiel. Chaque élément (jeu des acteurs, couleurs, musique de Gounod, mouvement) est là pour nous peindre un monde par petites touches. Voilà, Deville fait du cinéma comme il ferait de la peinture, et cela se sent dès l’amorce du générique, magnifique de charme et de soin. Mais sa peinture n’est guère tendre pour autant, et n’hésite pas à nous asséner quelques vérités sur l’existence, en poussant par l’image le sens initial vers la férocité ou la crudité, notamment lors des scènes de sexe, osées, enlevées. Deville, un Fragonard du cinéma ?
Finalement, on n’y pensait pas mais heureusement, il y a pensé pour nous, car vraiment ça lui pendait au nez, le vaudeville, depuis ses débuts, depuis Adorable menteuse. Et tout ça pétille, nous charme, on rit, on est ému, et on ressort guilleret de la séance.
Les jeunes cinéastes candidats à la comédie devraient bien prendre de la graine de ce vieux monsieur à l’esprit fringant.