Good morning Lenin !
Le 27 avril 2011
Une rareté de l’âge d’or du cinéma soviétique muet, d’une grande virtuosité formelle, par un réalisateur à redécouvrir.

- Réalisateur : Friedrich Ermler
- Acteurs : Lyudmila Semyonova, Fyodor Nikitin, Valeri Solovtsov
- Genre : Drame, Film muet, Noir et blanc
- Nationalité : Russe

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– Durée : 1h21mn
– Titre original : Oblomok imperii
– Année de production : 1929
L’argument : Pendant la guerre civile, Filimonov est devenu amnésique. Il retrouve la mémoire dix ans après, en 1928. Il revoit alors des épisodes de la guerre, la fraternisation, la révolution, puis le moment où, Rouge lui-même, il est abattu par un Blanc. Il rentre chez lui à Leningrad, nouveau nom de l’ancienne capitale, pour retrouver son épouse...
Notre avis : Auteur moins connu qu’Eisenstein, Dovjenko ou Barnet, Friedrich Ermler a voulu témoigner des mœurs et mentalités de la nouvelle société soviétique. En plus du drame affectif individuel vécu par le protagoniste, l’œuvre met en exergue les mutations collectives à travers une rupture entre le passé et le présent à jamais irréconciliables : les séquences dans lesquelles Filimonov découvre son ancien patron ruiné ou son épouse remariée sont à cet égard significatives. Dans une usine où il retrouve un emploi, l’ancien officier est raillé pour son ignorance des changements politiques et économiques et subit très vite le contrôle social du groupe cherchant à le normaliser. Ermler est aussi à l’aise dans ces scènes d’intérieur que dans ces échappées urbaines qui voient Filiminov s’adapter tant bien que mal aux métamorphoses d’un Saint-Pétersbourg devenu Leningrad. Son désarroi rejoint celui des personnages de cinéma hantés par un traumatisme de guerre, à l’instar des anciens soldats névrosés de Les plus belles années de notre vie ou Voyage au bout de l’enfer.
Si Un débris de l’empire est bien une œuvre de propagande répondant aux canons du réalisme socialiste, Ermler s’autorise pourtant des digressions oniriques que n’auraient pas reniées Lynch ou Buñuel et n’occulte pas toute velléité critique, notamment dans la description des nouveaux bureaucrates guère plus accommodants que les tenants du pouvoir sous l’ère tsariste. Mais c’est surtout le montage qui impressionne, plus de quatre-vingts ans après sa réalisation : la séquence du maniement d’outils sur une chaîne de production n’a rien à envier aux prouesses de Dziga Vertov. Il serait souhaitable que cette perle contemporaine d’Octobre connaisse une diffusion plus large. En France, le film (également connu sous le titre de L’homme qui a perdu la mémoire) n’aura connu qu’une sortie limitée, dont un récent ciné-concert organisé au Balzac avec accompagnement musical de Jean-Baptiste Doulcet.