Un artiste engagé

L’amour de Steinbeck pour sa bonne vieille ville de Salinas brûle et brûlera toujours. Il nous emmène au cœur de cette bourgade de la côte ouest le temps de plusieurs récits, avant de nous entraîner dans les rues de San Fransisco et de New York durant les années de galère, quand ses manuscrits et ses nouvelles étaient refusés et qu’il tirait le diable par la queue. Cocktail succulent, cet ouvrage nous fait aussi découvrir quelques portraits de plusieurs personnalités (Arthur Miller pendant la chasse aux sorcières, le photographe Robert Capa, l’acteur Henry Fonda) mais aussi celui de l’inconnu Ed Ricketts (qui lui a servi de modèle dans Rue de la sardine), héros d’un texte bourré de tendresse où Steinbeck se révèle être un ami indéfectible pour un homme hors du commun.

Steinbeck revient également sur son métier d’écrivain, ses romans à succès et leurs imperfections, sur les scandales engendrés par ses prises de position. Pour preuve, plusieurs récits dans lesquels il prend ouvertement la défense d’immigrés réduits à la pauvreté et la mendicité lors de la crise économique, base des Raisins de la colère, son chef-d’œuvre. A travers des récits glorifiant la pêche, la nature et les grands espaces, il revêt un costume d’écolo avant l’heure, touchant de simplicité et de franchise. Comme un gamin ébahi face aux étendues magnifiques des États-Unis dont le spectacle n’en finit pas de l’étonner.

Mais le morceau de bravoure de ce recueil est certainement la dernière partie, baptisée "L’Amérique et les américains". Steinbeck y décrit, mi-fasciné, mi-dépassé, un pays et une civilisation en pleine mutation. A une époque où le combat pour les droits civiques des Noirs est au cœur des préoccupations politiques, à une époque où la publicité et la consommation battent leur plein, où les mentalités et les mœurs évoluent à vitesse grand V. "Créés égaux", plaidoyer pertinent en faveur de la population noire, raconte l’attitude paradoxale du peuple américain vis-à-vis de l’esclavage et la lutte pour l’émancipation menée par quelques-uns.

Ce John Steinbeck-là nous dévoile une personnalité politiquement inclassable, mais surtout un homme plein d’humanité et de bonté, adepte des plaisirs simples. Et qui, jusqu’au bout, croit en sa vocation et son devoir d’écrivain. Indispensable pour comprendre le Steinbeck romancier. Indispensable pour les amateurs de Steinbeck. Indispensable tout court...