Mangeuse d’hommes
Le 26 septembre 2022
Claire Denis filme des amours barbares et cannibales, entre fantasme éprouvant et horreur réaliste. Un festin de sang odieusement troublant et efficace, qui marque son empreinte durable sur le spectateur.
- Réalisateur : Claire Denis
- Acteurs : Béatrice Dalle, Nicolas Duvauchelle, Vincent Gallo, Alex Descas, Tricia Vessey
- Genre : Drame, Épouvante-horreur
- Nationalité : Français
- Distributeur : Rezo Films
- Durée : 1h40mn
- Date télé : 26 septembre 2022 22:45
- Chaîne : Arte
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
- Date de sortie : 11 juillet 2001
- Plus d'informations : Le site du distributeur
- Festival : Festival de Cannes 2001
Résumé : Lors de son voyage de noces à Paris avec son épouse June, Shane Brown, un chercheur américain, part retrouver son ami Léo, un médecin français susceptible de le soulager d’un mal étrange.
Critique : Attention : viande fraîche. Lorsque Claire Denis nous propose sa version du mariage entre Éros et Thanatos, le résultat est à la fois macabre et bouillonnant. Sur le papier, cette histoire d’expériences médicales qui tournent mal, d’attirances vampiriques et de cannibalisme pulsionnel peut laisser perplexe, fleurant la série B au rabais. À l’écran, elle se dote d’une force véritablement dévastatrice. Toute la puissance si dérangeante du film vient précisément de ce que son exploration de l’extrême vient se loger dans les interstices du quotidien (“every day”), les espaces lacunaires et troublants entre les gestes les plus banals du travail, du couple... Sans prévenir, l’horreur est susceptible de survenir dans des lieux certes glauques, mais ordinaires, comme si la cinéaste maintenait le plus longtemps possible le brouillage des pistes quant au genre et au ton adoptés : grelottant sous sa parka trop large, sur le bord bétonné d’une nationale que sillonnent des routiers en mission, Béatrice Dalle pourrait être une oubliée de la société réduite à vendre son corps... si des traces de sang dans l’herbe et au coin de sa bouche, à la scène suivante, ne révélaient pas sa nature de nymphomane anthropophage. En passant ainsi du trivial à l’abracadabrantesque, du style documentaire au récit fantasmatique, de l’ellipse à l’ostentation de l’image “coup de poing”, Claire Denis prouve que les frontières sont poreuses, et que des réalités de niveau différent peuvent se répondre plus facilement que ne le laissent penser les apparences.
Dans cette danse macabre, la réalisatrice filme ses personnages au plus près de leur malaise, augmentant le malaise du spectateur en les rapprochant encore davantage de lui. Shane, l’inquiétant jeune marié incarné par Vincent Gallo, évoque le rôle interprété par Tom Cruise dans Eyes Wide Shut, un homme se dérobant à son couple, se refusant à ses fantasmes qui ne cessent de lui imposer leur vigueur pathologique. Symétriquement, Béatrice Dalle réussit à prendre à cœur et au corps un rôle presque muet, vibrant de vie, toujours sur le seuil entre naïveté et monstruosité. De part et d’autre de ce couple démoniaque - dont la rencontre ne durera finalement qu’un instant -, une série de rôles secondaires (dont l’excellent Alex Descas, habitué des films de Claire Denis) ponctue la folie des deux personnages centraux. C’est aussi du fait de ce caractère profondément humain et, somme toute, “réaliste”, que Trouble Every Day est un film éprouvant, duquel on n’émerge qu’avec difficulté. Les scènes de cannibalisme, si elles n’atteignent pas le gore gratuit de Cannibal Holocaust, restent toutefois d’une violence physique et graphique extrême, doublée d’une indécision à la limite du supportable : est-on dans le plaisir ? La douleur ? On peut si on le souhaite interpréter le film à un niveau moins littéral, sur le mode de la vision pessimiste du couple, comme entraînant inévitablement la “dévoration” du désir de l’un par celui de l’autre. Mais c’est aussi un étrange tableau de la force de nos pulsions élémentaires, dans une optique peut-être involontairement sadienne : de la jouissance à la cruauté, il n’y a qu’un pas.
- © Rezo Films
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Norman06 30 avril 2009
Trouble every day - la critique du film
Il a été reproché à la cinéaste d’avoir délaissé les belles lumières et les troublants corps-à-corps de Beau travail pour un film de vampires « chic » au scénario jugé quelque peu tarabiscoté. Certes, l’histoire n’est pas de tout repos et la vraisemblance n’est pas la priorité affichée : mais n’est-ce pas là le propre du film d’horreur ? La photographie d’Agnès Godard est très belle et la cinéaste refuse le tape-à-l’œil, les effets gore, et les dialogues trop explicatifs. En fait, l’œuvre est fidèle au style de Claire Denis, et nous retrouvons la même galerie de personnages marginaux et de situations incongrues que dans ses précédents films. Il faut aussi mentionner une bande musicale palpitante et l’interprétation remarquable de Béatrice Dalle : sa composition de mante religieuse névrosée restera dans les mémoires.